Vers la canonisation

Aimez vous….

Lire, apprendre, comprendre, analyser, fonder vos opinions sur votre libre arbitre.

Ce document vous propose de revisiter l’histoire de Montpellier des années 1960 à 2010, période marquée par une expansion remarquable. François Delmas occupa le devant de la scène de 1960 à 1977. Georges Frêche s’installa en haut de l’affiche en 1977 et attira sur lui tous les projecteurs jusqu’en 2010.

J’ai eu la chance et le bonheur de participer à ces deux représentations en qualité de Secrétaire général du District au côté de François Delmas de 1965 à 1977, et de Conseiller municipal d’opposition, face à Georges Frêche de 1983 à 1995.

Par ailleurs, j’ai rempli des mandats de Conseiller général de l’Hérault de 1976 à 2001 et de Député de 1986 à 1997. J’ai ainsi bénéficié de postes d’observation privilégiés.

Pour le travail que je vous propose, j’ai eu recours à mes archives, aux comptes-rendus des conseils municipaux, journaux municipaux, articles de presse … J’ai visité avec beaucoup d’intérêt et de gourmandise les ouvrages consacrés à cette époque et principalement à Georges Frêche.

Des textes hagiographiques, aux hypercritiques, la gamme est large, les données et opinions multiples, variées et parfois contradictoires. Mais tous, à partir d’une situation, d’une réflexion, d’un détail, m’ont aidé, dans la construction du personnage. Des anecdotes, des témoignages complètent le tableau.

Je sais très bien que pour cette écriture « l’objectivité » ne peut être avancée. J’ai essayé de suivre les pas de la démarche de Montaigne : c’est un livre de bonne foi.

J’ai souhaité vous rencontrer pour vous livrer des informations, des réflexions sur 50 ans de vie publique à Montpellier. Tout au long de ces pages, j’ai essayé de me maintenir sur le fil de la loyauté.

Le Départ

Dimanche 24 octobre 2010 – 19h50 : L’annonce

Sous un ciel bas et lourd, je roule en direction de Montpellier accompagné par le va et vient de l’essuie glace et un festival de voix, de textes, de mélodies, de Brassens, Barbara, Brel, Trenet, Ferrat… quelques mots d’une chanson…que c’est beau, c’est beau la vie.

Soudain le silence s’installe, brisé rapidement par l’annonce d’un flash spécial. L’info tombe, sèche « Georges Frêche, le président de la région Languedoc-Roussillon, l’ancien maire de Montpellier est mort. Nous vous communiquerons d’autres informations dès que nous en aurons connaissance ».

Cette annonce brutale provoque un choc émotionnel, un moment d’égarement qui entraîne l’esprit sur le terrain du doute ! Est-ce bien vrai ? Ai-je bien entendu ? Comment est-ce possible ?

Bien vite la réalité reprend ses droits, l’information est confirmée, plus précise : « Georges Frêche est mort à 18h40 à son bureau en signant son courrier ».

La mort est programmée, inéluctable, mais lorsqu’elle arrive, elle surprend, elle déséquilibre. Après l’égarement et la stupeur s’imposent la compassion, la sympathie. Comment mesurer la profondeur de la déchirure, l’intensité des souffrances que doivent ressentir sa famille, les siens en cet instant où ils viennent d’être foudroyés par ce départ inattendu.

Remontent alors à la surface quantité d’images de ces quarante années de vie politique où nous nous sommes côtoyés, scènes de débats en Conseil municipal, d’affrontements en campagnes électorales, d’échanges au District, à l’Assemblée nationale, sur le terrain…

Et là je me surprends à dire « Paix à son âme ». Il disait qu’il « avait toujours cherché Dieu, et toujours eu envie de croire en lui ». Puisse-t-il avoir la faveur du ciel et profiter de sa paix.

Maintenant se succèdent en rafale les hommages, les rappels de sa vie, son œuvre, son parcours politique.

Après les radios, les télés entrent en scène avec leurs ballets d’images, leurs commentateurs, leurs experts, leurs invités, tandis que le corps de Georges Frêche est transporté au funérarium.

Lundi 25 octobre 2010 – Les réactions

La Presse écrite prend sa place. Pour relater ce départ, parfois une annonce à la une, des éditoriaux, des articles sur sa vie, ses réalisations, ses dérapages…

  • Frêche exclu pour toujours (Libération)

  • La mort de l’empereur du Languedoc (Aujourd’hui en France)

  • 37 ans d’une carrière tonitruante (Le Parisien)

  • Il était une bête de scène (La Montagne)

  • Son peuple du Languedoc lui pardonnait tout et clamait son affection dans les urnes (Le Progrès de Lyon)

Midi Libre lui consacre une pleine page à la Une, avec un titre sobre « La mort de Georges Frêche », une photo de son visage pris de profil et des sous-titres :

  • Le président du Languedoc-Roussillon s’est éteint hier en milieu d’après-midi victime d’un arrêt cardiaque. Il était âgé de 72 ans.

  • Il rentrait d’un voyage de vingt jours en Chine et en Bulgarie.

  • Elu pour la première fois Maire de Montpellier en 1977.

  • Il dirigeait le Conseil régional depuis 2004, avant d’être réélu en mars dernier.

  • Au cours de ses 40 ans de vie, il a métamorphosé la capitale régionale en la hissant au 8e rang des villes de France.

  • Visionnaire et bâtisseur cet animal politique longtemps membre du Parti socialiste avait aussi son côté sombre, ses sorties sur les blacks, les harkis ou ses statues resteront dans les mémoires.

A l’intérieur un grand titre barre la 2 et la 3

  • « Georges Frêche a lié son destin à celui de sa ville ». De très nombreuses photos légendées retracent son parcours.

La 4 et la 5 poursuivent la présentation de photos légendées, et abondent de réactions et messages de sympathie d’élus, de responsables socioprofessionnels, d’associations sportives, culturelles et sociales.

Les responsables politiques nationaux se sont exprimés soit par un communiqué, soit en réponse à un micro tendu ou face à une caméra :

Martine Aubry :

« Je rends hommage à un grand élu visionnaire et bâtisseur dont le nom restera à jamais lié à Montpellier et à sa région.

Au-delà des désaccords que nous avons pu avoir, je souhaite me souvenir d’un homme courageux et engagé ».

François Hollande :

« Georges Frêche était un bâtisseur, un visionnaire pour sa ville et sa région. C’était une forte personnalité, il avait une conviction telle qu’il pouvait déplacer des montagnes, ce qu’il a fait pour sa ville et pour sa région. Il n’était pas dans le Parti socialiste. Je l’ai toujours considéré comme un socialiste, il est mort avec cet idéal ».

Que ne lui ont-ils dit ces belles choses de son vivant en déposant des roses sur son bureau plutôt que maintenant sur son cercueil !

En assistant à ce spectacle, Georges Frêche qui faisait souvent référence à sa culture de l’Egypte a dû les comparer aux « El Hjaniyè » des Egyptiens, « les Pleureuses ». Pas très loin de la famille éplorée, elles en rajoutaient sur les qualités du défunt s’abstenant d’évoquer ses défauts (car un mort requiert le respect et en aucun cas on ne doit se rappeler ses bêtises et ses erreurs en tout genre), d’où cette expression judéo-arabe « meyetwalou sakkaiken el miyet » (une fois mort les pieds du défunt s’allongent).

Au milieu des multiples bouquets de roses qui ne cessèrent de parvenir, il y eut quelques cactus dont deux ont certainement provoqué des blessures :

Daniel Cohn-Bendit :

« Je maintiens que c’était un politique qui avait une manière d’agir et de faire qui était misérable ».

Le 19 février 2010 il avait déclaré «  ce qui se passe dans les sections du Parti socialiste du Languedoc-Roussillon est à pleurer ». « Le Frêchisme, c’est du Mussolini ».

David Hermet (NPA) :

« Avec ses dérapages, provocations et plaisanteries douteuses l’homme politique a contribué à la banalisation de la vulgarité à connotation raciste dans notre région. Il a mis en place un système de gouvernement autoritaire et clientéliste : chantage aux subventions pour contrôler les élus mais aussi menaces et insultes, accords en sous-main ou au grand jour avec des élus de droite contre ses amis politiques, pressions pour avoir une Presse aux ordres. Un pouvoir sans partage sur plusieurs décennies avait provoqué aussi chez lui une forme particulière de mégalomanie, la Septimanie ».

Et tandis que les notables donnaient dans la vénération, l’admiration ou la langue de bois, sur les réseaux sociaux se multipliaient les messages de désolation, de sympathie, bien sincères ceux-là. Parfois pointaient aussi quelques acidités.

Mardi 26 octobre 2010 – Le recueillement

Le cercueil de Georges Frêche enveloppé dans le drapeau tricolore, une rose rouge posée dessus ainsi que sa toge de professeur de droit, est revenu à l’Hôtel de Région.

Très nombreux furent ceux et celles qui vinrent se recueillir dans la chapelle ardente dressée sous l’arche du bâtiment. Les registres de condoléances furent rapidement remplis de déclarations élogieuses, affectueuses.

Il a du apprécier ces anonymes qui laissaient parler leur cœur.

Il a du être plus circonspect en voyant défiler le cortège des « personnalités ». Ils furent nombreux à tracer quelques lignes et à apposer leur signature sur les registres, les uns par amitié profonde, d’autres par sincérité, par reconnaissance, d’autres probablement par habileté à jouer sur les circonstances, avec une utilisation parfaite de la sémantique. Il y a même un « expert » en la matière qui a dénoncé « les faux culs » pour mieux affirmer sa bonne foi.

En fin d’après midi François Hollande, l’ex-Premier secrétaire du Parti socialiste, est venu s’incliner sur la dépouille de celui qu’il avait exclu du Parti.

Quelques exocets partent mezzo voce, pour commenter sa présence.

« Quand j’en vois qui viennent se prosterner devant le cercueil après tant d’hypocrisie et d’autres de Paris qui lui font des courbettes, çà me met en colère » a susurré une dame. Une autre a rajouté « ils n’ont même pas le sens de l’honneur ».

A la question posée à François Hollande « l’hommage est très consensuel, l’homme était très contesté, hypocrisie du milieu politique ? » Il répond : « C’est souvent le cas lorsqu’une personnalité disparait ».

Aux enterrements, j’ai toujours profondément ancré en moi ce que répondait Albert Camus lorsqu’on lui demandait de dire quelques mots devant le cercueil du défunt « Je laisserai le soin de dire du bien à ceux qui ont dit du mal de lui durant sa vie ».

Mercredi 27 octobre 2010 – Les Obsèques

Suivant le protocole établi, le cercueil de Georges Frêche a quitté à 9 h 15 l’Hôtel de Région où son portrait géant avait été tendu sur la façade, pour se rendre à la cathédrale Saint-Pierre où vont être célébrées les obsèques.

Hervé Denyons correspondant du Point à Montpellier :

« Une ville figée sous un soleil éclatant d’hiver, tous les drapeaux des édifices publics en berne, des rues presque désertes et des habitants silencieux regroupés dans les cafés pour suivre les obsèques de Georges Frêche à la radio ou sur les chaînes d’info, tout Montpellier est en deuil…

Environ 2.000 personnes se sont rassemblées autour de la cathédrale Saint-Pierre, dans la partie médiévale de la ville pour saluer le cortège funèbre sous des applaudissements nourris. Un autre millier de proches ont été autorisés à suivre la cérémonie à l’intérieur de la plus grande église du Languedoc…

Le cortège a ensuite été accueilli par une haie de professeurs en toge rouge et hermine de l’Université de Montpellier où Georges Frêche avait été professeur de Droit romain durant près de trente ans ».

Sophie Guiraud du Midi Libre retrace le déroulement des obsèques à l’intérieur de la cathédrale. (Annexe 1)

Retransmises sur écrans géants placés devant le parterre de la cathédrale, les funérailles se sont achevées vers 12 h 40.

« La dépouille du président de la Région est acheminée à l’extérieur pour rejoindre sa dernière demeure à Puylaurens dans le Tarn.

La foule l’acclame comme un rappel quand le spectacle se termine et qu’on en redemande. C’est une manière de dire : Merci et Au revoir ». (Midi Libre)

Tout au long de ce parcours qui débuta le Dimanche 24 octobre 2010, lorsque la mort a frappé Georges Frêche, les journaux, les radios, les télés ont multiplié les titres, les commentaires les plus élogieux pour saluer le défunt.

Morceaux choisis

  • Georges Frêche le Proconsul éclairé du Midi s’est éteint

  • Quand Frêche bâtissait c’était grand, quand il parlait aussi

  • Il a fait du Languedoc-Roussillon la première région de France

  • Il était de la race des seigneurs

  • Bâtisseur et visionnaire

  • Avec lui la cité a retrouvé un destin

  • Montpellier tourne une page d’histoire

  • L’Homme de tous les trop

  • Le grand vide

  • Frêche entre dans l’histoire…

Certes il y eut quelques bémols mais étouffés par les superlatifs et les hyperboles, ils eurent peu de résonnances.

Un sans faute

Ainsi Georges Frêche venait de réussir sa sortie marquée par un triple sans faute :

  • Il est parti comme il le souhaitait « Je voudrais mourir en scène comme Molière » disait-il. Il est mort en scène. Il avait dit aussi « mourir en mer » ou « mourir en Grèce avec le sourire ». Ces dernières années il s’était fixé sur « mourir en scène ». Vœux réalisé.

  • Il avait souhaité des obsèques minutieusement scénarisées : la cathédrale, le drapeau tricolore, les professeurs d’université en toge, « Douce France » chantée pour le patriote qu’il était par Trenet le narbonnais, « le temps des cerises » pour l’image du révolutionnaire qu’il aimait montrer. La ferveur populaire était là. Tout fût parfait.

  • Enfin dans les commentaires flatteurs, dans les hommages dithyrambiques qui lui ont été accordés, on retrouve la légende qu’il s’était employé à forger de son vivant. Il souhaitait, il espérait qu’elle devint l’Histoire, aujourd’hui elle est l’Histoire, opération totalement réussie.

Vers la canonisation

Le surdoué Georges Frêche a réussi à obtenir pour sa sortie trois fois 20/20 avec félicitations et acclamations. Il s’est en quelque sorte auto-béatifié, sans procédure. Il est désormais reconnu comme tel. Avec bien sûr le miracle obligatoire dans les attendus, ce fameux miracle obtenu : Montpellier passant du stade de bourgade à celui de métropole et de la 23e à la 8e place des villes par l’intercession de son travail et de sa vision. Miracle qui n’est contesté, à de très rares exceptions, par aucune belle âme de France et de Navarre.

A voir maintenant l’engouement et la précipitation avec laquelle on baptise « Georges Frêche » voierie, monuments et autres équipements, il est permis de s’interroger sur ce phénomène.

On a même assisté à un « crêpage de chignon » par presse interposée entre deux maires, élus UMP, pour l’attribution de la médaille d’or de la rapidité à avoir dénommé une voirie Georges Frêche, une première mondiale bien sûr.

Montpellier accumule les titres de noblesse, les baptêmes se succèdent, la place de la Mairie, une station de tramway, un lycée, un gymnase, une statue.

Autre fois pour ce faire, il fallait donner du temps au temps. Dix ans était un recul convenable. Maintenant, c’est immédiat et à tout va. Au dernier pointage dans la région, une douzaine de communes ont baptisé « Georges Frêche » une école, une rue ou un bâtiment. Plus de doute, à ce rythme nous sommes en bonne voie pour la canonisation.

En principe ce rituel suit des règles biens définies quoique Jean-Paul II les ait un peu bousculées.

Va pour l’Avocat du diable

Dans un procès de canonisation, le « Postulateur de la cause » tente de montrer que le bienheureux est digne d’être canonisé. Tandis que « le Promoteur de justice » (anciennement surnommé avocat du diable)  tente de prouver le contraire. Au terme de ce procès, le collège constituant la congrégation rend le verdict à la suite d’un vote (il parait que maintenant le pape décide seul).

Alimenter la discussion, présenter des contre-arguments à la position des postulateurs afin de tester la qualité des arguments originaux et de présenter les faiblesses des défenseurs de la requête de la canonisation, ce rôle me plait, me convient.

J’endosse la robe, ouvrons le dossier Georges Frêche.