Le Président

Georges Frêche dans le rôle de sa vie

Un personnage en or Remugle politicien Commentaires des internautes sur le film Passage au scanner Mentir Jouer la victime Les élites et le peuple La gonflette Montebourg et l’OAS Massacre à la tronçonneuse Affabulation Les conseillers Le personnage Claudine, Claudine La faute et la trahison.

Un personnage en or

[Quand Yves Jeuland a décidé de suivre et de filmer Georges Frêche pendant sa campagne électorale pour les régionales 2010, il entendait faire un film sur l’un des derniers combats d’une personnalité forte et discutable du paysage politique français. Mais il ne pouvait prévoir l’affaire « Frêche-Fabius » qui allait pimenter la campagne, ni le décès de son personnage principal qui ajoute une dimension à son film.

Jeuland adopte les règles établies par Raymond Depardon il y a une trentaine d’années dans les films comme « Reporters » : absence de commentaires, filmage en « direct » (ndlr : six mois de tournage caméra à l’épaule, sans ingénieur du son, sans chef opérateur, sans commentaire, ni voix off avec seulement quelques sous-titres qui permettent de situer les « seconds rôles »).

Georges Frêche était évidemment un personnage en or pour le cinéma : physique imposant, truculence, accent méridional, aisance rhétorique en faisaient une figure situable quelque part entre Raimu et Le Pen.

Jeuland a aussi eu la chance, ou le flair, de trouver autour de cet Auguste « énaurme », des clowns blancs aussi talentueux et cinégéniques : le directeur de cabinet Frédéric Bort et le directeur de la communication : Laurent Blondiau…

Le risque pris par Jeuland est de se laisser manger par son sujet surtout quand il s‘agit d’un ogre tel que Georges Frêche. Mais si le « Président » peut susciter l’empathie par son humour, son âge ou le rappel de ses engagements de gauche, le film montre aussi ses magouilles et ses mensonges…

Le film met surtout en lumière la pratique de la politique comme un spectacle tout en « com » et dépourvu de contenu. Pas une séquence ne montre Georges Frêche et ses conseillers discuter programme, réformes, politique fiscale, arbitrages budgétaires, tout occupés qu’ils sont à rebondir après l’incident Fabius et à sculpter l’image de Frêche comme héros héraultais de la France d’en bas et des vrais gens…

Ni hagiographique, ni dénonciateur, Jeuland filme à bonne distance, enchaîne des séquences alternativement négatives ou positives].

Serge Kaganski, Les Inrockuptibles, n°876, 12 septembre 2012.

Remugle politicien

[Le « Président », portrait en pied d’un maître de guerre doublé d’un ogre retors fournit une explication à ce phénomène. Elle est simple : la démagogie et le mensonge, l’insulte aux adversaires, l’opportunisme et la médiocrité apparaissent comme le régime naturel de la bonne santé politique. Georges Frêche, géant perclus au verbe haut, tient alternativement le rôle d’un vieillard exténué et d’un tueur toujours en alerte. Il pose en roi Ubu entouré d’une trinité (Frédéric Bort, directeur de cabinet ; Laurent Blondiau, directeur de la communication ; Pascal Provencel, publicitaire) qui est à la fois son premier publique et une force de proposition qui n’hésite jamais à le tirer vers le bas.

« Le Président » fait partie d’une catégorie de film qui met à profit la dualité entre la figure publique du candidat et les coulisses où s’élabore la stratégie. De plus en plus difficile à réaliser en raison du contrôle accru exercé par les politiques sur leur image, cet exercice dépend de la bonne volonté du personnage principal.

Le « non-conformisme » est à cet égard un client de choix, son discours est en rupture avec les appareils, sa légitimité se fonde sur cette rupture. Loin d’être le témoignage d’une naïveté ou d’une inconscience, comme on serait enclin à le penser, le spectacle qu’offrent Frêche et son équipe devant la caméra est donc concerté. Il est la démonstration de leur indépendance d’esprit au sein d’un échiquier politique démonétisé. Il offre un modèle patriarcal et débonnaire d’enracinement et de proximité politiques, il capitalise sur la transgression morale pour recueillir les intérêts de son anti-dogmatisme déclaré.

Les seuls perdants sont les spectateurs encouragés à entrer dans la connivence de ce remugle politicien, sauf à passer pour des ravis de la crèche. Il faudrait donc pouvoir rire (jaune) de cette satire documentaire, avec la claire conscience que si la politique se réduisait à cela, on aurait bientôt fini de rire].

Jacques Mandelbaum, Le Monde, 14 décembre 2010.

Commentaires des internautes sur le film

La revanche : 1

« On aime l’homme politique car il est différent, il incarne « la vraie gauche » face aux « Rastignac » nationaux, il n’appartient pas à la « nomenklatura » de la pensée socialo-caviar et c’est un plaisir, une jubilation de constater la transe des bobos parisiens bien-pensants ».

« L’élu est ici le porte-parole de la revanche : la revanche de la province contre Paris, du peuple contre les puissants, de l’authenticité contre l’artifice ; issu d’une éducation de classe, il semble authentique, courageux ; le peuple aime les hommes qui « en ont » et qui parlent vrai. Il est de ceux qui parlent comme le peuple souverain ».

« Nous en province, et à plus forte raison dans le Sud, on s’exprime en français traditionnel et on dit ce qu’on pense. Le parler des salons parisiens inspire de la méfiance. Les citoyens en ont marre de ce discours aseptisé et patchouli. Bientôt tout le monde tiendra un discours bien lisse et bien hypocrite. On puise dans les mots de Georges Frêche une énergie stimulante et en outre il fait rire. Je lui reconnais un humour décapant. Merci de nous faire rire en ces temps si moroses ».

« Grand-guignolesque. Georges Frêche, le type même de politicard roublard et grande gueule, un gros vantard, un grossier personnage, mégalomane ; tant que ça marche il en rajoute ».

« Ses propos sont une vraie anthologie beauf. Que lui apportent vraiment ses délires verbaux agressifs et son humour de basse-cour, à part de flatter son ego ? On est alors persuadé que l’homme politique se joue des mots ; très bien ça, Frêche l’a compris ; en marketing politique l’important est de faire parler de soi en bien ou en mal ».

« C’est précisément là que le langage de Frêche pose problème. Il parle le langage populaire. L’objectif ? Ce n’est pas comme vous l’imaginez parce qu’il se préoccupe de cette population, c’est de faire en sorte que cette population se dise : s’il parle comme nous, c’est qu’il est comme nous. Et c’est là que le bât blesse. Georges Frêche n’est pas comme eux : l’historien et intellectuel reconnu qu’il est, sait pertinemment à quoi sert le langage populaire ».

« Ses ennemis l’embêtent, car il ne veut pas d’ombre sur son chemin ».

« Il n’a aucun respect, ni pour sa cour, ni pour son peuple ».

Passage au scanner

Combien de fois ai-je visionné ce film ?

Combien de fois me suis-je posé des questions sur certaines images, certains personnages, certains dialogues ? Impossible de répondre, je n’ai pas compté. Je sais seulement que mes dix doigts ne suffiraient pas pour aboutir aux résultats.

J’ai aimé ce film. L’intention était bonne, mais l’aventure risquée. La réalisation difficile, délicate, avec un impératif : être présent sans paraître. L’œuvre d’Yves Jeuland me paraît mériter plusieurs étoiles. Il faut aussi reconnaître les mérites de Georges Frêche et de son équipe qui ont relevé le défi de la transparence, tout en sachant jouer avec, pour simuler ou dissimuler.

Ce film nous offre un voyage à l’intérieur d’un personnage, face aux épreuves, face à son entourage, face à lui-même. Ce film touche à sa vie publique, il touche aussi à l’intime. Il nous offre en trois dimensions ses qualités et ses défauts.

Si ses qualités de bateleur, de débatteur, sautent aux yeux, beaucoup devront se rendre à l’évidence : Georges Frêche est construit et articulé autour d‘une charpente indestructible : le mensonge.

« Le(s) mensonge(s) », c’est le titre qu’il faudrait donner à ce travail.

Analysons plusieurs images de ce scanner :

Mentir

Son entourage immédiat, connaissant son appétence pour cette friandise, donne d’entrée le ton général de la campagne : « il faut mentir, il faut dire n’importe quoi ». Cette directive doit servir de tableau de marche à tous les candidats de la liste. « Je vous entends me demander en permanence des bilans, vous les avez, on peut même vous en donner trois parapheurs mais je vais vous dire : il faut mentir, sortir les chiffres avec de l’aplomb, dire que vous avez le double, c’est ça qui compte, c’est l’essentiel. De toute façon, en période électorale, tout peut se dire, n’importe quoi peut se dire et peut être accrédité de la même manière ; alors même que c’est faux ».

Cette injonction de Frédéric Bort, directeur de campagne, a le mérite de la clarté.

Pourquoi se gêner d’ailleurs ? Prononcés par Georges Frêche, un chiffre, un mot, une phrase sont immédiatement répertoriés dans la catégorie des « vérités premières ». Il existe en la matière de multiples et magnifiques illustrations. Nous en avons fait la démonstration.

Georges Frêche utilise une autre technique. Il joue sur le thème « moi, je n’ai pas de mémoire ». C’est pour cela, rajoute-t-il, que « je mets les chiffres qui me viennent à l’idée ». Il se disculpe par avance de toute contre-vérité, si par hasard elle est perçue. Et dans ce cas, ce n’est pas vers lui qu’il faut se tourner, mais vers sa mémoire défaillante.

Jouer la victime

« J’ai beaucoup souffert, j’en ai assez qu’on me traîne dans la boue ».

« Si j’avais été faible, j’aurais pris le pistolet de la Résistance de mon père et je me serais tiré une balle dans la tête, car il faut un sacré courage pour supporter ce que l’on m’a fait ».

Cette phrase relève d’un travail de dentellière. Les mots percutent les uns sur les autres et ça fait mal, pistolet, Résistance, balle, tête, courage. C’est la victimisation parfaite.

Un de ses collaborateurs nous fait entrer quelque temps après dans la confidence : « être la victime, c’est toucher au nirvana médiatique ».

Les élites et le peuple

La consigne est de jouer en permanence sur ce registre : le peuple contre les élites. La Province contre Paris. Les militants contre l’état-major national. Les petits contre les grands.

Morceaux choisis :

« Ce ne sont pas les escarpins vernis du VIe qui me feront peur, moi je suis avec les Occitans, les Catalans ».

« Je dis aux moralisateurs du VIe, on ne s’assied pas sans conséquence sur le peuple, parce que le peuple ça pique ».

« Il y a une différence entre le pays réel et le VIe ».

« De quel droit le petit cénacle parisien viendrait, à notre place choisir notre avenir. Ils m’ont insulté et traîné dans la boue ».

La gonflette

Chacun s’évertue à le placer en haut de l’échelle. Il sait aussi se servir, à grande louche.

« Elkabbach pense que Georges Frêche est une personnalité hors normes ».

« On ne parle pas à ses adversaires ».

« Mandroux candidate, c’est un non-événement, ce n’est pas de notre niveau ».

« Frêche en rock star à Paris… il est bancable ».

« J’ai une tronche de vedette de la télé… » « Cette campagne vous met au niveau national » « Le vote sera un referendum pour ou contre moi ».

Montebourg et l’OAS

Alerte ! Montebourg vient de déclarer : « Georges Frêche, c’est l’OAS du PS »

La réponse de Frêche est immédiate et se veut cinglante.

Cela commence par une de ses « amabilités » dont il a la pratique quotidienne et il poursuit : « il faut porter plainte ». Il s’empresse de dérouler ses médailles de « gauchiste » : « Mon père en 1949, il a quitté l’armée pour ne pas aller combattre en Indochine parce qu’il était pour l’indépendance en Indochine et pour Ho Chi Minh ».

« Toutes les manifestations anti-guerre (en Algérie), je les ai faites à la tête de l’UNEF »

« Vous allez voir ce que vous allez voir ! »

Mais c’est tout vu. C’est bien Georges Frêche qui en 1973 est allé au siège du Front National quémander les voix du FN pour battre l’ennemi commun, le gaullisme, parti qui avait donné l’indépendance à l’Algérie. Ce jour-là il était accompagné d’un responsable de l’OAS. C’est bien Georges Frêche qui a déclaré à Vincent Amoros : « Si j’avais été avec vous en Algérie, j’aurais été de l’OAS ».

Quand ça l’arrange, il porte la perruque de l’anticolonialisme et quand il faut soutirer les suffrages des Pieds-noirs il se décoiffe et avec des trémolos dans la voix, il déclare : « Arrêtons avec le colonialisme. A cette terre que nous avons tant aimée, nous avons amené des instituteurs, des médecins, des routes. Vous avez souffert avec votre valise, vous aviez le courage » et il enchaîne en chantant faux et à tue-tête : « C’est nous les Africains… » avec une salle en délire. A ses côtés à la tribune, chantant à gorge déployée « C’est nous les Africains », des candidats venus du PS, du PC, des Radicaux de gauche, des Verts…. Que ne feraient-ils pour gagner des voix !

Devant une telle maestria, on s’interroge : quel est le cocu dans cette affaire ?

Massacre à la tronçonneuse

Qui n’est pas avec lui est contre lui.

« M’ont lâché tous ceux que j’ai inventé à Montpellier.

Vézinhet : c’est le parrain de ma fille, nous avons passé 25 jours de l’an ensemble, nous sommes partis plusieurs fois en vacances en Grèce ensemble.

Mandroux : je l’ai inventée. Pendant vingt-quatre ans, elle n’a pas eu une idée. Elle ne compte pas. Ils m’attaquent pour prouver qu’ils existent. Cela relève de Freud, pas de la malice politique ».

Vous remarquerez, lui n’attaque jamais. Il ne fait que répondre aux agressions.

Après le premier tour, il se découvre : « Il faut continuer à être faux-cul. J’aime Mandroux, Révol et tout le monde. Je n’ai pas de haine. Je leur tend la main à tous ».

Comme d’habitude, après l’élection, il s’emploiera à faire mal, à éliminer, ou comme il l’a souvent dit : « à tuer ». J’ose traduire, « politiquement s’entend » !

Affabulation

On connaît ses petits arrangements avec le passé et ses versions différentes sur un même sujet.

« J’ai travaillé dur pour mes études, c’était le bagne » et puis à un autre moment, il nous parle du « Casino de Paris », de « Line Renaud »…, de ses exploits de « danseur mondain », en « danse acrobatique », « récitant de poésie dans les cafés »…

Autre registre, son père : il ne va pas en Indochine pour refus de colonialisme. Puis il explique que son père était commandant en Algérie.

Anecdote amusante, chez les Catalans, pays de rugby, il annonce en mettant une main sur la hanche : « 12 ans de rugby, ça use. Voilà pourquoi j’avance avec une canne ». J’aimerai bien savoir où il a fait ces 12 ans de rugby ! J’avais cru comprendre que vers 11 ans, il était tombé d’un arbre et que cela avait entraîné des problèmes au niveau des vertèbres, que pendant son service militaire, on avait découvert qu’il avait une jambe plus courte que l’autre, etc… Devant un auditoire de non avertis, il aurait été capable de raconter ses exploits rugbystiques du temps où il jouait avec Danos et les frères Boniface, et comment il a failli marquer un essai à Twickenham.

Mentir, affabuler, du moment que ça peut servir…

Demander le programme

Le programme, le projet, voilà les grands absents de cette campagne un peu particulière.

En dehors d’un moment de démagogie avec les viticulteurs : « on va embaucher 500 personnes au Bas-Rhône, on va irriguer, vous aurez de l’eau et on vous aidera à l’exportation ». Rien, plus rien. Il sait jouer et contrer une éventuelle critique sur ce sujet. Dans ses apparitions médiatiques, sa stratégie est réglée, il sait qu’il va être attaqué sur ses « dérapages », sur « Fabius ». Là, les réponses sont prêtes : « j’ai fait 8 procès, j’ai gagné 8 fois ». « Vous n’y connaissez rien, moi je suis historien », etc., etc.…

Et à la sortie de ce round, il passe à l’offensive : « je ne renie rien, je ne regrette rien. Moi je suis venu vous parler du programme, je suis un homme de Gauche ». Bien joué, il a placé son message en attaquant.

A un des membres de son entourage qui lui disait : « certains pensent que tu n’es pas à Gauche », il répond : « si certains pensent que je ne suis pas à Gauche, c’est qu’il y a des connards, ou que je suis habile…. Je penche pour la deuxième solution ».

Les conseillers

En campagne électorale, lorsqu’on est poussé par des vents favorables (dans son cas, il soufflait force 7), la bonne humeur et la disponibilité gagnent le candidat.

Auprès de Bort et de Blondiau, les plus proches collaborateurs durant cette campagne, il retirait, présence, disponibilité, dévouement, organisation (les déplacements, les réunions, les plans medias),… Il donnait l’impression de laisser faire, d’écouter. Pour lui, c’était avant tout la démonstration qu’il n’était pas un autocrate. Il ne faut pas se laisser abuser par une apparente soumission aux recommandations de son entourage. Ils le reconnaissent d’ailleurs : « nous on conseillait, lui il arbitrait ».

Chez lui, tout se passe à un niveau supérieur. Il sait se délier lorsqu’il décide d’envoyer des vacheries, des grossièretés, des insultes. Il sait que cela peut choquer, mais pour lui, ce sont des bras d’honneur qu’il envoie en permanence à ceux qui l’ont dénigré ou destitué.

Même quand il est en phase ascendante, il reste en mal de reconnaissance. Il n’écoute vraiment que lorsqu’on lui sert ce qu’il a mijoté dans sa cuisine.

A deux reprises, l’ours, qui faisait semblant de somnoler, balance des coups de pattes pour montrer sa toute-puissance à ses conseillers et à ceux qui l’observent : « Arrêtez de me donner des papiers, ne me prenez pas pour un débile ! » et « A force, ils parleraient à ma place ».

Au soir du premier tour, il leur échappe complètement. Il se laisse aller sur les télés et les radios. Le lendemain, Laurent Blondiau et Frédéric Bord ne peuvent que s’épancher entre eux. « Les déclarations de hier soir sont inacceptables », « Hier, il a trop bavassé ! ».

Georges Frêche, me semble-t-il, ne baisse pavillon qu’une seule fois, c’est lorsque ses conseillers lui expliquent, lors d’un repas gare de Lyon à Paris, qu’il n’est pas souhaitable que les statues soient mises en place rapidement et qu’il est préférable d’attendre. Après avoir englouti un énorme baba, il se rallie. Peut-être l’avait-il envisagé avant que le débat ne s’installe.

Le personnage

Il ne vit que par l’odeur de la poudre, il aime les tourbillons médiatiques.

Il chante faux, mais le choix des chansons n’est jamais anodin, c’est toujours un message qu’il envoie. Mouloudji : « c’est un mauvais garçon qui a des façons pas très catholiques ». Voilà pour le pied de nez à Fabius et merci pour tout ce que cette affaire lui a rapporté. La musique de la 2e DB : « A moi l’armée ». Maurice Chevalier : « Demain, j’ai 20 ans » : je suis en pleine forme, les autres sont usés.

Certaines fois, c’est un homme épuisé qui continue à se battre. Il le dit, le redit, jusqu’à la scène finale où il réclame une chaise parce qu’il est à la limite de l’effondrement.

Au milieu de la foule, parfois de grands moments de solitude l’habitent. A Béziers, assis au milieu des militants qui tournoient autour du chef, les plus familiers viennent le saluer, avec une phrase rappelant un bon souvenir, d’autres s’avancent, ne captent pas son regard, s’arrêtent, hésitent. Certains franchissent le pas, d’autres n’osent pas. Il lui arrive même de répondre en regardant ailleurs. Où est-il ? La lassitude probablement.

Il joue avec les statuettes qui sont sur son bureau, on sent qu’il aimerait faire partie de cette troupe de rebelles, le seul contre tous, il adore.

Combien gagnez-vous ? « Je ne sais pas, je n’ai jamais d’argent sur moi. 23 euros pour le coiffeur…. Les chèques, c’est ma femme qui les signe ». Cette réponse est un chef-d’œuvre : l’argent ne m’intéresse pas. 23 euros, c’est le prix du coiffeur de monsieur tout le monde, ce n’est pas celui des grands coiffeurs parisiens. Il en profite pour sortir du thème du patrimoine. Il sait fuir.

C’est un corps massif, statique, au milieu de ses conseillers qui n’arrêtent pas de virevolter. Il avance péniblement, appuyé sur sa canne, la tête baissée, qui en se projetant en avant, semble vouloir aller plus vite que ce corps qui a des difficultés à suivre.

De son visage ressortent des paupières pesantes, placées en position « mi-clos » comme pour mieux protéger sa stratégie et les coups à venir.

C’est avant tout une bouche, il aime manger. Il faut alimenter ce corps qui a besoin d’énergie. Elle lui sert de broyeur à papier quand les post-it ne servent plus ou quand les pages de son agenda doivent disparaître. Elle évoque aussi le retour à l’enfance, lorsqu’au petit matin, assis à sa table de cuisine, en djellaba, il se nourrit d’un yaourt, le buste bien droit, les yeux dans le vide, insensible aux éclats de rire de ses conseillers à la lecture d’un article. On a l’impression qu’il entend sa mère lui dire « tiens-toi droit et ne fais pas de bruit ».

« Claudine, Claudine »

Après l’annonce des résultats de cette élection qui se traduit par un score élogieux, Georges Frêche s’installe dans son jardin, entouré de son aréopage, devant un buffet bien garni. Il se détend, en racontant des anecdotes sur ses exploits et décrète que certes les Partis continuent de briller, mais que ce sont des astres morts depuis longtemps.

Certains s’empressent de lui parler du futur : « Maintenant, il faut écrire », « il faut réinventer le socialisme », « il faut une nouvelle génération », « il faut passer du temporel au spirituel », « bravo, vous avez remis les choses en place », « il n’y a pas un spécialiste qui connaît le peuple, vous êtes l’illustration que quand on fait de vraies choses, avec de vrais gens, ça marche », etc., etc.…

Vient l’heure où il faut partir à la permanence saluer les militants qui attendent la venue du triomphateur. Enfin il arrive, la salle est pleine. Les rues environnantes accueillent ceux qui ne peuvent entrer. Mouvement de foule à l’arrivée de Georges Frêche, applaudissements, cris…

Georges Frêche, qui peine à avancer, réclame une chaise. Tout le monde entend, mais la chaise ne vient pas, il s’énerve, il hurle, il est épuisé, une militante parle à haute voix. Le vrai Frêche ressort de sa boîte, d’une voix forte il ordonne : « vous lui fermez sa gueule et vous la dégagez ». C’est du brut, avec derrière comme une complainte : « Claudine, Claudine ».

Pour mettre un point final à cette campagne, il se libère d’un tonitruant message : « Vive la Révolution d’Octobre, vive Lénine ».

La faute

La séquence qui tue

Une larme coule sur la joue du tribun, la salle comble de supporters du vieil homme, écoute, captivée : « Mon père était fils d’une famille de paysans misérables. A 17 ans, il a quitté la ferme parce qu’il n’avait pas de quoi vivre. Il est parti pieds nus, avec les sabots sur le dos, pour s’engager dans l’armée, il m’a appris les chemins de l’honneur ».

L’émotion de Georges Frêche est intense, ses électeurs retiennent leur souffle, le visage ridé se tourne face à la caméra, les joues mouillées, l’œil profond. Comment ne pas éprouver de la sympathie pour ce vieil homme blessé par quarante ans de combats politiques, des coups donnés et des coups reçus, à l’indignation presque palpable, devant son rejet par une élite parisienne devenue trop polie pour le supporter. Ce vieil oncle qu’on n’invite plus aux réunions de famille, ce provincial au verbe trop haut pour une époque très policée…

Des images en clair-obscur laissent apparaître des larmes qui perlent sur la joue de Georges Frêche, avec un auditoire qui paraissait pétrifié. Devant cet événement, comment ne pas être pris de compassion. Cela a réveillé en moi l’histoire de mon grand-père, ouvrier agricole qui chaque jour devait parcourir à pieds des kilomètres pour se rendre à son travail et en revenir.

Dans les jardins de la villa de Georges Frêche, durant le déroulement de la petite fête après l’annonce de la victoire, certains moments de la campagne furent évoqués par les uns et les autres. A un de ses collaborateurs qui évoquait ce moment intense, ces larmes, Georges Frêche avoua, rigolard et fier de lui : « Mon grand-père était richissime parce qu’il avait vendu en 1914 une colline pour faire une carrière et faire passer la ligne de chemin de fer Saint-Girons/Toulouse. On lui avait payé 30.000 francs en louis d’or…. »

« Ça veut dire que l’histoire des sabots, ce n’est pas vrai ? » Et Frêche s’esclaffe : « Non sûrement pas ! ».

Trahison

A ces mots, j’ai ressenti un profond dégoût. Comment avait-il pu se livrer, sur des personnes vulnérables, à un tel abus de confiance en s’adonnant à cette fausse confidence misérable ?

Qu’il mente, c’est de notoriété publique. Qu’il utilise la ruse et le mensonge dans les combats politiques face à des adversaires, certains diront que c’est de bonne guerre. Mais là, non !

Un éclair dans ma tête a fait alors rejaillir cette déclaration de Georges Frêche : « Car Mitterrand savait parler au peuple, je me souviens d’un meeting à Toulouse avant 1981, il avait la fougue de Jaurès, on aurait dit du Jaurès, sauf que Jaurès lui était sincère… » La démonstration est claire, Georges Frêche était non pas un adepte de Jean Jaurès, mais de François Mitterrand !

J’ai imaginé Jaurès sortant de sa statue, sautant de son socle, venir lui signifier sur le champ qu’il n’était pas digne d’être socialiste, de ne plus se réclamer de lui et de ne jamais plus prononcer son nom.

Souvent je me suis interrogé, devant certaines de ses déclarations, certaines de ses actions. Comment peut-il dire ou faire cela, alors qu’il se promène en permanence avec Jaurès en bandoulière ? L’a-t-il lu ? L’a-t-il compris ? Si oui, il a dû sûrement manquer la déclaration de Jaurès aux viticulteurs en 1894, avec ce message fondamental, « Le socialisme est une morale ». Devant cette scène de campagne, on a l’impression que pour lui socialisme et Jaurès n’étaient que des hochets.

Comment ne pas se sentir humilié, d’avoir éprouvé quelque compassion pour son histoire. On ressent cela comme une trahison.

Ce soir-là, j’ai pris la plume.