L’exclusion

Il est urgent de prendre en considération l’ordonnance préconisée par le Père Wresinski

    Dès son arrivée à l’Assemblée Nationale, Willy DIMEGLIO fit du dossier de l’exclusion, une de ses priorités.
Pour sensibiliser ses collègues, il les invita à prendre connaissance des travaux et des expériences menés par le Père WRESINSKI, Secrétaire Général d’ATD Quart Monde, en organisant une rencontre-dialogue.

Allocution prononcée par Willy Diméglio en ouverture de cette rencontre le 24 février 1987

Mes chers collègues,

    Je voudrais tout d’abord remercier chaleureusement le Père J. Wrésinski d’avoir accepté notre invitation et lui dire combien nous sommes sensibles à cette marque de sympathie et de confiance.
Je voudrais lui dire combien nous sommes admiratifs du combat qu’il mène et des efforts qu’il déploie pour sensibiliser les élus, les responsables socio professionnels sur ce mal insidieux qui mène notre société et qui a un nom : l’exclusion.
J’ai eu la chance et l’honneur de côtoyer le Père Wrésinski sur les bancs du Conseil Economique et Social. En l’écoutant, en suivant ses actions, j’ai pris conscience de la profondeur de ce mal et j’ai mesuré combien il était nécessaire et urgent de prendre en considération, l’ordonnance préconisée par le Père Wrésinski. Si l’on n’y prend garde, l’exclusion développera de plus en plus ses effets dévastateurs sur le corps social le plus fragile, et nul ne peut être assuré qu’il sera épargné.
Je tiens, mon Père, en ce qui me concerne, à vous assurer que militant pour cette cause depuis plusieurs années, je le serai encore plus maintenant que j’ai le privilège de siéger à l’Assemblée Nationale. Et je suis persuadé que la quasi totalité des collègues ici présents, viendront soutenir et renforcer vos actions, votre modestie dut-elle en souffrir. Je voudrais rapidement retracer l’essentiel de vos réflexions et de vos actions, cela nous permettra d’aborder directement avec vous les initiatives à prendre au niveau du parlement pour traduire en textes efficaces, les objectifs qui vous paraissent les plus urgents, les plus nécessaires.

 

    Plusieurs axes de réflexions méritent de retenir notre attention :
1 – Des hommes et des femmes survivent

        – sans pouvoir assurer leur subsistance par le travail,
– avec des ressources extrêmement faibles et parfois inexistantes,
– dans des conditions de logement excessivement précaires et souvent dégradantes,
– sans acquérir de savoir-faire de base et à priori un savoir nouveau.

 

    2 – Les précarités matérielles mais aussi sociales, culturelles et civiques peuvent s’enchaîner et se renforcer mutuellement au point de mettre en cause des droits que la constitution reconnaît à tous.

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        3 – Compte tenu de l’importance d’une action conjointe et simultanée dans les différents domaines qui peuvent être à l’origine des précarités conduisant ou maintenant en situation de grande pauvreté, il est impératif d’avoir une action portant simultanément et de façon coordonnée sur les domaines suivants :
– l’éducation
– le logement
– la santé
– l’emploi et la formation.

 

        4 – d’informer et d’agir
Informer : il est nécessaire d’améliorer l’information, notamment à travers les médias de l’ensemble de la population et en particulier la jeunesse sur la nature et l’ampleur des situations de précarité, de grande pauvreté et sur les mécanismes qui y conduisent, afin de mobiliser plus largement à leur égard, les connaissances et savoir-faire, ainsi que les capacités de solidarités.


        5 – Centrer l’effort sur l’école maternelle.
L’école maternelle devrait être au cœur de toutes les interventions concernant la petite enfance. C’est donc là qu’il convient :

       – d’assurer une bonne communication entre les milieux familiaux les plus démunis et le milieu scolaire,
– de permettre aux enfants de se préparer aux apprentissages fondamentaux,
– de coordonner les interventions avec les autres partenaires concernés auprès des parents de ces enfants qui souhaitent se former et s’informer, être aidés.
Les actions mises en œuvre en collaboration avec les parents devraient se développer en s’appuyant :
– sur la reconnaissance de l’importance de la petite enfance du langage et de la communication dans le développement de la personnalité et l’insertion sociale.
– sur la constatation qu’un enfant est d’autant plus porté à apprendre que les adultes de son milieu familial sont eux-mêmes sollicités à exercer leur intelligence et à développer leurs aptitudes.

 

        6 – Poursuivre et prolonger les expériences des zones d’éducation prioritaire et définir les stratégies s’en inspirant. Il conviendrait dans les départements pilotes, d’identifier afin d’y investir plus et mieux, les zones où la proportion de personnes sans diplômes est la plus forte, ce qui correspond assez généralement à la présence de milieux de grande pauvreté.
Poursuivant les actions des maternelles :
permettre aux enfants de réaliser les apprentissages fondamentaux
assurer ou faire assurer le soutien de l’enfant tout au long de sa scolarité de la façon la plus appropriée à l’enfant.

        7 – Mettre l’accent :
– sur l’emploi – formation
– sur le plancher de ressources
– sur le droit de l’habitat
– sur l’accès de tous aux soins
– sur la promotion individuelle et familiale
– sur l’assistance juridique et judiciaire
        8 – Seraient alors réunies les conditions propres à permettre :
– à ceux qui sont dans la grande pauvreté d’en sortir
– à ceux qui sont en voie de paupérisation, de ne pas y tomber
– grâce à une conception plus exigeante de la solidarité de la part d’un nombre croissant de citoyens
– l’application des mesures proposées constitue un objectif auquel tous les défenseurs des droits de l’homme devraient s’attacher.


    En conclusion de ce propos liminaire, je dirai, mon père que votre grand mérite c’est d’avoir abordé le problème de la grande pauvreté dans la globalité. Vous nous permettez ainsi de comprendre que la pauvreté doit être perçue comme le résultat d’une accumulation de précarités, qu’elle est aussi l’aboutissement d’un processus qui s’étale parfois sur plusieurs générations et qui s’achève sur une situation bloquée dont on hérite.
Mais vous attirez aussi notre attention sur le fait qu’aujourd’hui le processus peut se déclencher brutalement et s’accélérer rapidement comme en témoignait les nouveaux pauvres dans une société qui demeure une des plus développées et plus riches du monde.
Enfin, vous nous invitez à ne plus aborder ce problème par le biais de l’assistance et de la charité, mais de penser à la réinsertion sociale de façon à remettre les plus démunis debout dans la société ; l’essentiel devient le respect des droits fondamentaux de l’homme.
Mes chers collègues, je vous demande de lire et surtout de faire lire le rapport sur la grande pauvreté et la précarité économique et sociale, présenté par le Père Wrésinski devant le Conseil Economique et social. Il contient pour chacun de nous la meilleure des feuilles de route sur ce sujet.