L’homme politique

Dire la vérité est un paradoxe entre la vérité de s’exprimer pour l’un et la douleur d’entendre pour l’autre

Michaël Haneke

Il faut saborder le PS – Face à Mitterrand – Ministre ? – De droite ? – Une image tragique – Un incroyable parcours – Bienvenue au club – Des élites en admiration.

Quelles idées politiques habitaient Georges Frêche ?
Quelles convictions profondes étaient ancrées en lui ?

Très souvent, en l’entendant discourir, en parcourant ses déclarations, à la sortie de nos confrontations, de nos discussions, je me suis posé ces questions.
Sous ses affichages, sous ses fanfaronnades, sous ses outrances, sous ses péroraisons, y avait-il, accompagnant une culture dont il aimait étaler la densité et l’étendue, une construction qui soutenait sa vie politique.
L’interview de Georges Frêche menée par Alain Rollat, les éclairages donnés par Jacques Molenat, François Delacroix, Karim Maoudj, André Ferran, Hélène Mandroux, Claude Cougnenc ont dévoilé différentes facettes du personnage. Des parts d’ombre demeurent, des contradictions se bousculent.
Lorsque Georges Frêche se livrait, c’était généralement avec calcul, en fonction des circonstances, de buts recherchés. Il le faisait toujours avec le souci d’écrire ou de réécrire son histoire.
Tombé le masque du révolutionnaire, passé le fond de teint d’un socialisme à la Jaurès, n’était-il pas avec des accents de générosité, un homme d’ordre et d’efficacité, un opportuniste à l’orgueil débridé ?
Pour tenter d’apporter des éléments de réponse, nous allons soulever certaines interrogations.

Frêche et le Parti socialiste

Il faut saborder le Parti socialiste

Il avait le goût de la déclaration dégradante.
Morceaux choisis
In Trêve de baliverne (13)
[Çà pue le manque d’idéologie ce parti ; ça s’adapte trop au terrain, aux gens, aux situations. Ce n’est pas un parti, c’est de l’opportunisme. A bas l’opportunisme !
Qui agitera le drapeau rouge si nous cédons aux sirènes du pragmatisme ? Qui citera les sociologues et les idéologues à tour de bras ? Comment maintiendrons-nous notre indéniable supériorité intellectuelle sur le peuple si nous nous mettons à son niveau ? Ainsi s’exprimaient les dirigeants du PS.
Ce que je sais, c’est que progressivement le PS s’est érigé en garant de la moralité, en porteur de valises ineffables, en bigoterie, en ligue antialcoolique, anti-fumette, antiraciste, homosexuel, noir, blanc, jaune, rouge, juif, musulman, orthodoxe, japonais, nains de jardin, pitbull, anti-sentiment du mal-être, anti-colère, anti-vulgarité, anti tout ce qui ne va pas et tout ce qui dépasse et j’en passe].

[La fabrique d’idées étant en panne, ce qu’offre le PS c’est la mise en avant d’une société émiettée, morcelée en particularismes, minorités, confessions, territoires particuliers.
Le refus du pragmatisme dans ce parti est tel, la référence à l’utopie et aux temps héroïques si forte, si contraignante, la certitude de représenter la tête pensante, l’élite, la crème des salons parisiens si séduisante que les vraies avancées actuelles, parce qu’elles ont lieu majoritairement en province, sont passées sous silence…
Le PS est une outre usée, si elle veut revenir au pouvoir, la gauche a besoin à la fois d’un nouveau contenant et d’un nouveau contenu…
Si je garde mon franc-parler qui me coûte si cher, c’est justement parce que je ne brigue pas l’Elysée… pour le moment].

In Il faut saborder le PS (11)
[François Hollande, c’est quelqu’un qui n’est pas capable de franchir les barrières, qui n’ose pas les franchir. Toute son habileté, congrès après congrès, a consisté à faire des acrobaties, pour arriver à faire cohabiter les contraires dans une même motion… Hollande, c’est le génie du conservatisme…
Çà les agace que je sois l’un des rares à avoir affronté Mitterrand. Je suis leur empêcheur de tourner en rond. Ils m’ont condamné sans m’entendre et sans preuve…]

[Le PS est une école de guerre, peut-être la meilleure ; comme ces soldats de mon enfance, les militants, au cours des batailles internes, luttent à balles réelles…
François Mitterrand avait réussi à faire revenir la gauche au pouvoir parce qu’il avait liquidé la SFIO de Guy Mollet, dont le cycle politique était terminé, pour mieux créer le Parti socialiste. Aujourd’hui la situation exige la même stratégie. Il faut liquider le Parti socialiste de François Hollande qui a fait son temps, pour créer un nouveau parti capable de revenir au pouvoir…
Moi je prône la social-démocratie depuis trente ans, mais à l’intérieur du PS je n’ai jamais été suivi…
Le socialisme est souvent victime du mirage des mots. En France, terre du verbe, les militants préfèrent se battre avec des mots plutôt qu’analyser la réalité…
D’abord l’union de la gauche et du centre, autour de l’alliance du PS et du Modem qui préfigurera la création d’un nouveau parti, puis un programme commun de gouvernement. Cela signifie pour les socialistes un changement complet de programme et la fondation avec les nouveaux alliés d’un parti moderne. Un parti de gauche aujourd’hui, ce ne peut plus être un parti du XXe siècle, c’est-à-dire un parti marxiste fondé comme en 1936 sur la défense de la classe ouvrière qui constituait le corpus central de l’idéologie de gauche. Au XXIe siècle, dans nos pays riches, il n’y a plus de classe ouvrière telle que la définissait Engels… L’ouvrier français d’aujourd’hui ce n’est plus l’ouvrier qui rencontrait Jaurès à Carmaux en 1885. C’est un privilégié par rapport aux trois-quarts de l’humanité. Il faut donc complètement modifier le corpus central de l’idéologie de gauche…
Aujourd’hui, il faut saborder le PS de François Hollande et liquider Hollande, parce qu’il faut rassembler non seulement tous les courants de la gauche mais aussi tous les courants démocrates pour ramener la gauche au pouvoir] (4)

Face à Mitterrand

Florilèges

In La France ligotée (10)
[Lors des élections présidentielles de 1974, mon engagement précoce aux côtés de F. Mitterrand me valut d’être son délégué pour le département de l’Hérault…
Peu après sa courte défaite contre Valéry Giscard d’Estaing, F. Mitterrand me proposa d’être délégué national du Parti socialiste aux libertés publiques, une fonction qui correspond à celle de secrétaire national dans l’organigramme actuel du parti et qu’occupa plus tard Robert Badinter. Il s’était déjà déplacé pour soutenir ma campagne aux élections législatives de 1973…
J’ai toujours eu un profond respect pour le président Mitterrand. Il connaît parfaitement la France… Comme lui, les hommes d’Etat doivent se battre hors de la capitale, dans la France profonde, celle de Clémenceau, de Jaurès ou de De Gaulle…
Lors des élections municipales en 1977, il a tenu son dernier meeting à Montpellier. Il est revenu à chacune des grandes échéances politiques : en 1981 à Antigone entre les deux tours de la présidentielle et en 1988 encore…
Dans les années qui ont suivi mai 68, j’ai adhéré au Parti socialiste d’Alain Savary. J’ai soutenu François Mitterrand qui s’apprêtait à jouer un rôle prépondérant…
Au congrès d’Epinay, j’ai fait voter la motion Mermaz-Pontillon dans les sections de Montpellier. En s’alignant à celui de Mauroy-Deferre et au CERES de Jean-Pierre Chevènement, ce courant a participé à la victoire de François Mitterrand…
Le Président Mitterrand, qui a une stature internationale, a devant lui une tâche énorme à remplir. Il a besoin plus que jamais d’un Parti socialiste rassemblé pour soutenir l’action du gouvernement à l’Assemblée nationale…
François Mitterrand est un grand leader socialiste, sans que son discours soit pour autant parole d’évangile. Un parti de la République va-t-il tomber dans la religiosité ? A Rennes, le plus sérieusement du monde, les idolâtres en ont rajouté, la situation fut fort cocasse. Le qualificatif de « Dieu » attribué, complaisamment repris est parfaitement dépassé. Souvenons-nous des paroles de l’Internationale : « Ni Dieu, ni César, ni tribun ». Ces sentences valent pour tous les élus…]

In (18)
[J’ai soutenu F. Mitterrand dès le congrès d’Epinay parce que je pensais qu’il était le seul homme de gauche capable de refaire l’unité des socialistes et de la gauche. Rien que pour cela, il est le 3e grand socialiste du siècle, après J. Jaurès et L. Blum…

Je me suis toujours senti sentimentalement proche de lui. J’ai aimé sa façon de dire non en 1958 ; j’ai admiré la manière dont il s’est battu, seul, dos au mur, quand la droite a commencé ses tirs sur lui. Jamais je ne pardonnerai à Guy Mollet de l’avoir lâché].

Le vent tourne

[Il faut savoir qu’humainement je n’ai jamais été proche de Mitterrand. Pour moi, fils de résistant, il restera toujours un vichyssois] (Midi Libre, 22 mars 2007).

[Jamais je ne pardonnerai la sympathie de Mitterrand avec l’ancien secrétaire général de la police de Vichy, René Bousquet, qui organisa la rafle du Vélodrome d’hiver à Paris et livra les enfants juifs aux nazis qui n’en demandaient pas tant] (16)

Du grand art

[Avant le congrès de Metz (1979), Mitterrand m’avait fait venir dans son bureau et m’avait demandé : « Pourquoi vous me lâchez ? ». Je lui ai dit ce que je pensais. Son programme néo-marxiste était complètement dépassé. Il n’avait aucune chance de réussir, le PS allait à l’échec. Je lui ai dit aussi, c’était la première fois que je lui disais, et ses yeux sont devenus des pistolets, il m’aurait tué : « vous savez, je suis fils de résistant et je n’ai pas du tout apprécié ce que j’ai appris de votre attitude pendant la guerre. Vous avez fait partie jusqu’au début de 1944 du premier cercle de Pétain, cela ne m’empêchera pas de faire campagne pour vous si vous êtes désigné, mais… ». Voilà ce que je lui ai dit… Cette fois-là mon propos était encore modéré mais ses yeux me fusillaient. Il m’a dit : « Frêche, puisque vous le voulez ainsi, lâchez-moi… ». Il m’a raccompagné au seuil de sa porte et ne m’a pas serré la main].

Ces lignes sont exceptionnelles, ce numéro de haute voltige mérite de recevoir le label « grand art ». Tous les mots ont été choisis, les phrases ciselées, du travail de dentellière.

« Avant » est une clé très importante car Georges Frêche situe son explication avec François Mitterrand avant le congrès de Metz. Mitterrand et ses amis ont toujours précisé qu’ils avaient découvert la trahison de Frêche à Metz, au congrès. Habilement, Georges Frêche nous présente la scène comme celle du « lâchage ». Honnête homme, il va dire à Mitterrand, les yeux dans les yeux : « je ne suis pas avec vous ».

Dépouillé des habits du traître, revêtu de la toge du gentilhomme, il argumente sur les raisons de son retrait, il n’accepte pas le programme néo-marxiste, le voilà décoré de la médaille deuxième gauche, tendance social-démocrate. Avec le recul il en profite pour se démarquer des erreurs de la période Mauroy.

Il est le premier justicier de la jeune génération à oser condamner François Mitterrand pour « Pétainisme ». Lui, Georges Frêche, tire de face et en pleine tête, mais grand seigneur, il fera quand même campagne s’il le faut.

« Ce que j’ai appris ». Agrégé de droit, une licence d’Histoire, une licence de Droit, pétri par quantité de cercles aux idéologies diverses et variées, une vie politique déjà bien consistante, voilà que l’innocent Georges Frêche apprend que François Mitterrand avait été vichyssois et pétainiste ! Oh my god !

« Cette fois, mon propos était modéré ». Il ne raconte pas ce qu’il a dû lui dire par la suite. Il a dû probablement le « souffleter » mais il ne tient pas à en faire état, noblesse oblige.

« Lâchez-moi » a répliqué François Mitterrand avec une voix de supplicié. Malgré la déception, la colère, il a tenu à raccompagner Georges Frêche au seuil de la porte, compte tenu du respect dû à son rang, avec une retenue quand même… il ne lui a pas serré la main, c’est dire combien les propos de Georges Frêche l’avaient blessé !!!
En mai 1981, lors du meeting de Mitterrand à Montpellier, avant le 2e tour, Georges Frêche s’est cassé la voix à force de hurler : « Mitterrand Président ! ».

[Bien sûr, je pense qu’il faut juger un homme sur toute la durée de la vie. Moi, je n’en veux pas à Mitterrand d’avoir été vichyssois en 42-43. Beaucoup d’autres l’ont été par exemple Chaban-Delmas et Couve de Murville, qui eux aussi avaient été décorés de la francisque ; et cela ne les a pas empêché d’être de grands résistants.
Je lui en veux parce qu’il n’a jamais renié ce passé, abjuré quand il est devenu le candidat de l’union de la gauche et il ne l’a jamais fait parce que c’était un faux homme de gauche, il avait même appris le marxisme et en parlait avec génie, il avait lu Karl Marx, Friedrich Engels, Karl Kautsky, Max Adler, etc.… mais je crois qu’en fait, il n’a jamais été sincère. Je crois qu’il est toujours resté jusqu’au bout un amoureux des œuvres de Brasillach, Céline et Drieu la Rochelle qui faisaient partie de ses lectures] (4 p. 40).

[Mitterrand savait parler au peuple. Je me souviens d’un meeting à Toulouse avant 1981. Il avait la fougue de Jaurès, on aurait dit Jaurès, sauf que Jaurès, lui, était sincère] (12 p. 227).

[Il reste que la voilà ma conception diamétralement opposée à celle de Mitterrand. Pour pouvoir faire de la politique en homme libre, il faut gagner sa vie ailleurs] (18).

[J’ai donné le nom de Mitterrand à une petite salle du Conseil Régional parce que c’était un petit homme d’Etat]. (Midi Libre 1er octobre 2009)

Le 15 septembre 2010, interviewé sur une chaine de télévision par Julien Arnaud, Georges Frêche déclare : « Mitterrand venait de l’extrême-droite et avait toujours été d’extrême-droite ».

Cette déclaration reprise le 3 octobre par Enquêtes et Débats souleva le commentaire suivant :
« … Georges Frêche a lancé un sacré pavé dans la mare en déclarant que F. Mitterrand « venait de l’extrême-droite et avait toujours été d’extrême-droite ».
Pourtant cette déclaration n’a pas été beaucoup reprise dans les médias et quand elle le fut, les bémols ne tardèrent pas : une « énième provocation » pour Rue 89, un « dérapage » pour le Post ajoutant que Frêche « s’en prend à la mémoire de François Mitterrand… ».
« Cette notion d’extrême-droite a suffisamment d’importance pour qu’on s’y arrête quelques instants.
Qu’est-ce qui peut bien faire dire à M. Frêche, socialiste lui-même, que Mitterrand était d’extrême-droite ?
Qu’il ait été un fidèle de Bousquet, organisateur de la rafle du Vel d’Hiv ? Qu’il ait porté la francisque et ait été pris en photo serrant la main de Pétain ? Qu’il ait été le ministre de la justice autorisant la torture en Algérie ? Qu’il ait été le président de la République ayant créé la tradition (anti)-républicaine d’envoyer des ministres au dîner annuel du CRIF ? Ou le président ayant monté de toutes pièces l’affaire de Carpentras contre le FN qui n’y était pour rien ? Ou le sénateur ayant monté un faux attentat contre lui ? Ou le président ayant caché son cancer aux Français pendant quasiment ses deux mandats tout en prétendant qu’il était en bonne santé ? Ou le président ayant caché sa fille illégitime aux Français ? Ou le président du Rainbow Warrior ou du sang contaminé ?
Il faut bien reconnaître que de nombreux arguments vont dans le sens de la thèse de G. Frêche ».

Une dernière avant de partir…
[Quand il (Mitterrand) venait à Montpellier, à l’époque où j’étais encore persona non grata, il avait toujours rendez-vous à l’hôtel avec deux ou trois femmes… Une fois, sur un balcon, il draguait même ma femme, sans savoir qui elle était. Quand je lui ai dit : « c’est ma femme, si vous continuez vous allez descendre au rez-de-chaussée sans prendre l’ascenseur »…, il a ri jaune et a décroché] (23 p 148).

Ministre ?

Je vous l’avais bien dit (12)

Entretien n°2, 12 février 1988.
[Pour le passé, je n’ai pas été ministre parce qu’à Metz, au congrès du Parti socialiste, j’ai soutenu la motion Rocard-Mauroy. C’est la vie politique. Je n’ai pas pleurniché et d’ailleurs cela a peut-être été une chance. J’ai pu m’investir à fond dans Montpellier qui est aujourd’hui sur de bons rails. Pour l’avenir, je pense en mon for intérieur que je peux être ministre aussi bien que beaucoup d’autres et même certainement mieux que d’autres. Si on me l’offre, j’irai].

Entretien n°5, 23 juin 1989
[Je serai peut-être un jour ministre, j’en serai ravi. Mais moi, ma vie, c’est le pari que j’ai engagé sur Montpellier…
Si j’ai envie d’être ministre un jour, c’est pour deux raisons : un, pouvoir faire quelques gros coups sur Montpellier comme Chaban l’a fait à Bordeaux et Deferre à Marseille et deux, parce que j’estime avoir des choses à dire dans quelques ministères. Quand je vois ce qu’apportent certains ministres je crois que je pourrais apporter vingt fois plus…
Mon but dans la vie, ce n’est pas de calculer chaque matin mes actions pour savoir si je serai désigné par le Très Haut comme ministre. Si le Très Haut veut me désigner, c’est la République qui me désignera…S’il ne le veut pas…
Q : Et il y a un mois, la dernière fois que vous l’avez vu, il vous en a parlé le Très Haut ?
G.F. : Non… le Très Haut a été charmant, c’est tout (sourire) et moi je le soutiens].

Entretien n°15, 18 octobre 1996 :
[Q : Si Jospin gagne, serez-vous ministre ? Il vous l’a promis ?
G.F. : Jospin n’a absolument rien à me promettre
Q : Vous aimeriez être ministre ?
G.F. : on verra…]

Entretien n°16, 30 mai 1997
[Q : Si Jospin gagne, vous serez ministre ?
G.F. : Je ne demande rien. Si on me propose quelque chose, je ne me défilerai pas].

Entretien n°19, 4 juin 1999
[Q : Vous rêvez toujours d’être ministre ?
G.F. : Je ne rêve de rien du tout. Comme je dis les choses, à Paris je fais tâche dans le paysage. J’ai dit en 1981 que je n’étais pas d’accord avec la politique économique de Mitterrand, j’ai dit que Mitterrand avait d’étranges accointances avec les Pétainistes et qu’autour de lui il y avait une série de gens louches. J’ai dit que Roland Dumas devait démissionner].

Entretien n°20, 26 avril 2002
[G.F. : Lionel Jospin est le plus grand Premier ministre de la V° République, mais pour la campagne il a fait tout faux… Il y a longtemps que j’ai compris que je faisais peur à Jospin !
Q : Ne regrettez-vous pas de n’avoir jamais été ministre ?  Je présume que vous auriez aimé être ministre de l’Education nationale …
G.F. : Non pas spécialement.. J’aurais aimé être ministre de l’Intérieur…
Q : Peut-être l’auriez-vous été si vous aviez fait allégeance à François Mitterrand au lieu d’avoir croisé le fer avec lui pendant vingt ans ?
G.F. : Oui, peut-être. Je serais même peut-être devenu Garde des Sceaux à la place de Robert Badinter. Mais je n’aurais pas été maire de Montpellier…. Et puis combien de temps serais-je resté Garde des Sceaux ? Alors qu’à Montpellier, j’ai tenu trente ans. J’ai préféré faire une grande carrière en province, c’était le bon choix …]

En vérité, Georges Frêche n’a jamais cessé d’être obsédé par cet horizon où le mot ministre figurait comme un phare.
Sarkosyste ?

Conversation avec Alain Rollat (11)
[Sarkozy connaît l’ivresse du changement et du changement intelligent en récupérant une partie du programme de la Gauche ; mais comme il veut tout régenter, un jour ça va se retourner contre lui… Sarkozy, le jour où il sera en difficulté, il n’aura plus d’amis, surtout si dans son ivresse il continue de faire des fleurs à la Gauche…

Q : Bernard Kouchner, Jean-Marie Bockel, Fadela Amara, Jack Lang, Jacques Attali, Hubert Védrine, Michel Rocard, ont-ils eu raison d’accepter ses offres ? Vous-même, accepteriez-vous un portefeuille ministériel ou une mission si l’Elysée vous sollicitait ?
G.F. : Non, moi, jamais ! Parce que moi, je ne suis pas socialiste sur les bords. Je me suis toujours reconnu dans le socialisme du Sud, à tendance Jaurès, teinté d’individualisme et d’humanisme… Ils vendent leur âme pour un plat de nèfles, tant qu’il ira de succès en succès, Sarkozy attirera non seulement toute la droite qui n’osera plus rien dire mais une partie de la gauche qui reste bouche bée. Il va tenir un an, deux ans. Mais en récupérant beaucoup d’hommes de gauche, il commet une erreur.

Q : Quelles réflexions vous inspirent les décisions gouvernementales prises depuis l’installation de Nicolas Sarkozy à l’Elysée ?
G.F. : Je constate que pour l’instant Sarkozy ne remet en cause aucun des acquis de la gauche au cours du siècle passé. Jusqu’à présent, il avalise toutes les conquêtes progressistes du XXe siècle. Avec le bouclier fiscal, il a fait plaisir à son électorat. Avec la suppression de l’impôt sur les successions, il a fait plaisir à tout le monde et même si ça fait plus plaisir à la droite qu’à la gauche, la gauche ne peut rien dire car ses électeurs eux-aussi récupèrent quatre sous. Et il rassure son électorat en faisant de petites choses à peu de frais politiques… Donc il fait de bons coups et sur le plan économique, je me sens plus proche de lui que du socialisme dirigiste de Jospin.
Ce que Sarkozy a dit sur la sécurité et l’immigration, je l’avais dit il y a 20 ans au PS, à l’époque où j’aurais pu être ministre de l’Intérieur et je l’ai réalisé à Montpellier. Oui, j’aurais aimé mener la politique de Sarkozy sur ce terrain, même s’il en fait trop.

Q : Sur l’immigration, vous rejoignez donc Nicolas Sarkozy sur la nécessité d’une immigration choisie et de l’instauration de quotas ?
G.F. : Je suis d’accord avec lui. Je suis favorable aux quotas… Il faut faire venir chez nous des gens susceptibles de trouver du travail. Il faut ensuite que les gens qui viennent en France apprennent la langue française, c’est normal… La solution de Sarkozy, c’est celle que je prône depuis vingt ans, c’est la solution républicaine, celle de Jules Ferry.
Si j’avais été ministre de l’Intérieur et des Cultes, j’aurais fait une politique assez proche de celle de Sarkozy.
Quand je siégeais à l’Assemblée nationale, nous avons participé ensemble à plusieurs voyages parlementaires en Israël. On a sympathisé, on a copiné, nous sommes lui et moi des défenseurs d’Israël.
Au départ je ne le croyais pas aussi intelligent.
Pour la première fois depuis un siècle, la Droite avec Sarkozy a réussi à incarner le parti du mouvement alors que la Gauche pour la première fois – fait extraordinaire – a incarné le parti de la conservation. Il faut accepter de regarder cette réalité en face : Sarkozy avec intelligence a su renouveler la Droite et donner l’impression d’une nouveauté alors qu’il succédait à Chirac après avoir été son ministre.
En plus Sarkozy a fait une campagne impeccable, sans aucune erreur.

Q : Le 14 janvier 2007, Nicolas Sarkozy dans son discours s’est référé à Saint-Louis et à Carnot, à Henri IV et à l’abbé Pierre, à Jeanne d’Arc, et à Zola, à Clémenceau et à Félix Eboué, à Jaurès, à Blum, à Guy Mollet et à Georges Pompidou.. Est-ce que ces références aux grands ancêtres du socialisme vous ont choqué ?
G.F. : Pas du tout. Son discours était un grand discours. Je pense que c’est idiot quand on se dit de Gauche de crier au scandale parce que Sarkozy récupère Jaurès. Mais au contraire ! C’est le plus bel hommage qu’on puisse rendre à Jaurès.
Q : Quel jugement portez-vous sur les débuts de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République ? Vous insurgez-vous contre cette concentration du pouvoir exécutif ?
G.F. : Cela ne me choque pas, je suis présidentialiste. Je suis pour un système de gouvernement à l’américaine.
Il pourrait même supprimer le poste de Premier ministre, constituer un gouvernement autour de lui, passer sans le dire de la cinquième à la sixième république. Est-ce qu’il y aurait en France une nouvelle révolution ? Je n’en suis pas sûr.
Il a tendance à se donner en spectacle, c’est son point faible. Il chutera par là parce qu’il n’y a rien de pire que de ne pas avoir d’opposition. Il devrait se souvenir de l’adage romain : « Jupiter rend fous ceux qu’il veut perdre… ». En ce moment Sarkozy peut faire et dire n’importe quoi parce que la plupart des médias reprennent béatement ses paroles mais quand l’opposition sera redevenue crédible, tout cela se retournera contre lui.
Sarkozy a bien fait, il a fait progresser la France. Nommer Garde des Sceaux une beurette qui n’a pas fait l’ENA, c’est un très bon coup politique que la Gauche aurait dû réaliser avant lui.

Q : Nicolas Sarkozy a-t-il raison de chercher à résoudre tous les gros problèmes à la fois, quitte à prendre « tous les risques » ?
G.F. : Je vais me faire l’avocat du diable ; à mon avis, il n’est pas allé assez vite. Si je me mets dans la peau d’un homme de Droite, je me dis qu’il aurait dû régler tout ça en juillet-août… Mais je ne suis pas un homme de Droite…

Q : Quand il dit « mon contrat social, c’est travail – mérite – égalité des chances », cela vous gêne ?
G.F. : En quoi ? Comment être contre ? Sarkozy tente un pari que je comprends. Il le tente en exagérant mais il le peut parce qu’il représente la Droite. Un homme de gauche prendrait plus de précautions. Sarkozy donne des gages sociaux et de l’argent aux plus riches en espérant qu’ils vont investir, en particulier dans les entreprises de haut niveau technologique et dans l’espoir que ces entreprises feront augmenter nos exportations.
Il joue donc à l’allemande et c’est une expérience intéressante que la Gauche aurait tort de condamner avant de voir quels en seront les résultats. En attendant, je considère qu’il n’y a pas là de quoi hurler car ce qu’il a donné aux plus riches, pour l’instant dans son « paquet fiscal » de l’été, c’est « peanuts ». C’est un cadeau électoral. Cela n’est évidemment pas de nature à rééquilibrer la répartition des richesses en France.
Moi je me souviens être allé à Tibériade lors de la guerre des six jours (1967) et c’est là que je me suis fait un ami, je vais vous dire qui c’est : Nicolas Sarkozy. Eh oui, car on n’est pas du même bord mais pour Israël, on est du même bord. Et je suis ravi que pour la première fois, la France ait élu au suffrage universel direct – ce sera mon bonheur dans mon malheur – ait élu un juif président de la République. On avait eu Léon Blum et Mendès-France Premiers ministres, mais on n’avait jamais eu un juif élu au suffrage universel, c’est un beau succès et en plus avec Kouchner ministre des Affaires Etrangères, qu’est-ce que vous voulez de plus ?]
(24 juin 2007, « Journée de Jérusalem, Parc de Grammont, Montpellier).

De droite ?

Conversation avec Alain Rollat (11)
[Le socialisme est souvent victime du mirage des mots. En France, terre du verbe, les militants politiques préfèrent se battre avec des mots plutôt qu’analyser les réalités. A Metz, il fallait faire « Bad Godesberg » et une politique social-démocrate mais sans le dire.
Il faut être clair, la seule façon pour le PS de revenir au pouvoir c’est de s’orienter vers le centre gauche. Il faut regarder les choses en face : en dehors d’une entente entre les socialistes et Bayrou, il n’y a pas de majorité pour battre Sarkozy. La seule solution, c’est l’alliance des socialistes et du Modem.
Globalement la stratégie de la gauche doit être le rassemblement au second tour des progressistes et des centristes. La préfiguration, en fait, d’un nouveau parti démocrate à l’italienne ou à l’américaine.
L’ouvrier français d’aujourd’hui, ce n’est plus l’ouvrier que rencontrait Jaurès à Carmaux en 1885. C’est un privilégié par rapport aux trois-quarts de l’humanité. Il faut donc complètement modifier le corpus central de l’idéologie de Gauche.
Il est trop tard pour s’appeler Social-démocrate. Ce choix aurait été valable il y a 30 ans, maintenant l’affaire est réglée… Parce que je suis toujours tourné vers l’avenir, jamais vers le passé, moi je prône la Social-démocratie depuis 30 ans à l’intérieur du PS ; je n’ai jamais été suivi.

Q : Quelle nouvelle appellation proposez-vous ?
G.F. : Parti Démocrate ou quelque chose d’approchant.
Aujourd’hui, il faut saborder le PS de François Hollande et liquider Hollande parce qu’il faut rassembler tous les courants de Gauche mais aussi tous les courants démocrates pour ramener la Gauche au pouvoir.
Il faut s’adapter à cette personnalisation de la politique qui fait que les électeurs changent facilement de camp selon le niveau des élections et la personnalité des candidatures en présence.
Le socialisme économique a échoué partout. Quand les fonctionnaires se mêlent de réguler l’économie, ils tuent l’économie… il faut laisser les patrons développer leurs entreprises librement.
C’est trop facile de taper sur les patrons ; les entrepreneurs ne sont pas des ennemis. Des patrons voyous, il y en a mais pas beaucoup… Les chefs d’entreprises sont des entrepreneurs qui risquent leur argent, rarement l’argent des autres… la gauche moderne doit aider les entrepreneurs.
Martine Aubry n’a pas voulu voir que la semaine des 35 heures constituait un progrès pour les cadres, pour les revenus les plus confortables, pour lesquels elle est devenue synonyme de temps libre, loisirs, vacances… mais que pour les gens aux revenus modestes, c’est-à-dire pour la plupart des salariés qui n’ont même pas la possibilité de se payer des vacances, la suppression des heures supplémentaires n’était pas un mieux-être, bien au contraire.

Une gauche de gouvernement augmenterait aussi les pensions de retraite. Mais elle rendrait le système plus souple, ce qui permettrait de mieux le financer. On devrait pouvoir prendre sa retraite à la carte entre 60 et 70 ans.
S’opposer à la mondialisation comme le font encore des groupuscules trotskistes, un Jean-Luc Mélenchon ou un José Bové, c’est vouloir arrêter la mer avec des pâtés de sable. Les réactions de repli sur soi, les solutions protectionnistes proposées par le Front national ou le Parti communiste sont tout aussi absurdes. Et si certains socialistes veulent un PS protectionniste, c’est qu’ils n’ont rien compris. Etre protectionniste, c’est prolonger l’agonie des industries traditionnelles en perdition.
On parle beaucoup des emplois perdus à cause des délocalisations, mais on parle peu des emplois créés par la mondialisation…
Pour protéger les emplois, il n’y a qu’une seule solution intelligente : il faut prévenir les délocalisations en créant des emplois non délocalisables.

Depuis 1906 les syndicats hésitent toujours entre l’engagement et l’apolitisme. Les divisions syndicales reposent sur des passés révolus…et les syndicats se comportent comme des clubs de boules… L’avenir, c’est la centrale syndicale unique à l’allemande et à l’américaine, voire deux au maximum.
Q : Etes-vous favorable à la suppression des régimes spéciaux de retraite ?
G.F. : Oui bien entendu je suis pour la suppression.

Q : Approuvez-vous l’instauration du service minimum obligatoire en cas de grève dans les transports publics ?
G.F. : Oui, les syndicats doivent comprendre que c’est nécessaire.
Dans le monde d’aujourd’hui, le moteur du développement économique c’est l’entreprise, c’est la création de richesses qui crée les emplois. L’homme de gauche doit dépasser le pilier de la social-démocratie pour devenir social libéral.
Je me convertis au social-libéralisme pour être aussi performant que possible contre le chômage. Je suis un social-libéral par adaptation au monde… J’encourage à la compétitivité, à l’innovation, au regroupement des filières].

Georges Frêche dont la réputation de visionnaire n’est plus à faire nous annonce que l’avenir est au social-libéralisme ?
Pour qui ne connaît pas Montpellier et Georges Frêche, la lecture de ces lignes le conduirait à la conclusion que Montpellier avait un maire « de Droite ». En prolongeant cette réflexion, on pourrait trouver des indices pour expliquer les faibles scores de « la Droite » aux Municipales. Cela peut faire l’objet d’une belle étude sous le titre « Ne dites pas à ma mère que je suis de Droite, elle me croit toujours socialiste ».

Entretien avec Paul Alliès : « Frêche n’est plus à gauche »
Propos recueillis par Emmanuel Valette in Languedoc-Roussillon 15 mars 2010

Porte-parole d’Hélène Mandroux et numéro deux de la liste PS en Languedoc-Roussillon, Paul Alliès ne mâche pas ses mots à l’endroit de Georges Frêche qu’il accuse de faire de « l’antipolitique ».
[…Arnaud Montebourg a déclaré mercredi que Georges Frêche était le «deuxième candidat de la droite», êtes-vous d’accord avec lui?
Oui, il a absolument raison. Les déclarations de Frêche le prouvent, puisqu’il se réjouit d’avoir des voix en nombre du Front national et de l’UMP, il se réjouit d’être bientôt élu (le 21 mars) contre tous les partis… S’il se situe à gauche en disant ça, il faut me l’expliquer! Depuis trois semaines, il y a des éléments nouveaux dans sa campagne électorale: non seulement sa dépolitisation mais aussi le fait qu’il se glorifie que son électoral soit issu de la droite et de l’extrême droite.

Mais n’est-il pas «normal» qu’un candidat cherche à recueillir des voix au-delà de son propre camp politique?
A trois jours d’un scrutin, quand un candidat envoie une profession de foi où il n’y a pas un seul mot de politique, on est droit de s’interroger sur son ancrage à gauche. 72% des électeurs du FN disent voter pour Frêche au second tour si France Jamet (candidate FN) n’est plus en lice. Ces indications montrent bien une évidence: Frêche n’est plus à gauche. De fait, il penche de plus en plus à droite, d’ailleurs il estime lui-même que Sarkozy et lui se ressemblent comme deux gouttes d’eau.

Georges Frêche joue beaucoup sur l’antagonisme Paris-province pour toucher de nouveaux électeurs. Comment l’analysez-vous en tant que Languedocien (Paul Alliés est né à Pézenas, dans l’Hérault, NDLR)?
Quand Georges Frêche dit: «Nous avons ressuscité un certain irrédentisme languedocien», (Midi Libre 11 mars), qu’est-ce que ça signifie? Qu’il renoue avec la tradition « félibriste » de l’Action française? C’est une vision qui flatte l’histoire politique de la région qui est à l’extrême droite. Georges Frêche utilise la vieille tradition en Languedoc-Roussillon qui consiste à opposer le bas contre le haut, la province contre Paris, le peuple contre les élites et ainsi de suite… C’est ce qu’on appelle du populisme au sens historique du terme : mobiliser le peuple pour faire de l’antipolitique. Renouer avec cette histoire-là est gravissime! Pour ma part, j’ai toujours été un militant de la région, sans jamais céder un pouce de terrain à cette idéologie qui n’est rien de moins qu’un micro nationalisme réactionnaire.

Comment expliquez-vous que Georges Frêche jouisse encore d’une si grande popularité dans la région?
C’est d’abord un président sortant qui joue sur tous les registres en prétendant qu’il est à la fois la gauche et la droite. Et il est évident, je le répète, qu’il va prendre beaucoup de voix à la droite. Les listes UMP et FN ont pour l’instant des prévisions bien inférieures à leur niveau national mais aussi à leur niveau traditionnel dans la région (respectivement 21,5% et 8% des voix selon dernier sondage Midi Libre NDLR).
Mais il est aussi et surtout celui qui est au pouvoir depuis trente-sept ans (député de l’Hérault dès 1973 et maire de Montpellier de 1977 à 2004, aujourd’hui président du Conseil régional et de l’Agglomération de Montpellier NDLR). 11 a créé un système de pouvoir qui repose sur le clientélisme vis-à-vis des élus locaux et des associations, l’intimidation et la violence vis-à-vis de ceux qui lui résistent… Des choses qui ne sont pas originales en politique mais qui sont poussées à l’extrême en Languedoc-Roussillon ! Il y a ici une concentration des pouvoirs expliquant qu’un tas de personnes, de groupes, d’intérêts, d’associations, d’élus (…) sont enchaînés à Georges Frêche. C’est un système très puissant qui ne repose pas que sur une seule personne. Cela défierait totalement les lois de la sociologie et de l’histoire électorale si Georges Frêche devenait soudainement minoritaire même en perdant l’étiquette du PS !…]

Georges Frêche est-il de droite et plus si affinités ?
Une image tragique

La voie tracée par sa mère
[Pour être aimé, je fus aimé. C’était moi le roi de cœur de ma mère, un roi avec des droits, certes, mais surtout des devoirs. Etre le meilleur en tout, par exemple, était une obligation. J’ai suivi la voie tracée par ces devoirs, y compris dans cette orientation entière de ma vie, mon engagement politique] (13).
Un monde sanglant
[Il s’y passe de drôles de choses. Le monde de la politique est sanglant. Des chausse-trapes, des croche-pieds, des faux-semblants, des sous-entendus, des insinuations, des interpellations, des calomnies, des coups bas, des lynchages, des mises à mort et même des traversées du désert quand vous êtes tombé dans les oubliettes de l’Histoire] (13)
Cow-boy solitaire
[Moi qui suis sensible à l’extrême, il m’a fallu apprendre à me protéger. J’ai commencé à attaquer avant qu’on ne m’attaque, à mordre pour ne pas être mordu, à dégainer le premier pour ne pas être tué, à utiliser le glaive plutôt que le bouclier… à tirer plus vite que mon ombre à l’instar du célèbre cow-boy solitaire] (13)
Chien et loups
[De temps en temps, on se fait rattraper par un chien méchant ou par un groupe de loups affamés, et on se fait traîner dans la boue, éreinter, déchiqueter, tout surpris que cela fasse encore de la peine] (13)

Un tueur
[Un tueur politique ? Oui, mais il ne faut pas le faire souvent. En politique, il faut de temps en temps tuer un adversaire et le faire au vu et au su de tout le monde, il faut le faire savoir. Vous pendez votre adversaire au gibet pour que tout le monde le voit bien et ça calme le jeu pendant dix ans, les gens se méfient. En politique vous ne pouvez durer que si vous n’êtes qu’aimé, il faut aussi être craint. Etre aimé et craint à la fois, c’est l’idéal…] (11.).

Il avait une image noire, douloureuse, tragique de la politique.
Il ressort, me semble-t-il, de ses déclarations quelques points forts :
On retrouve, enfouie, son enfance ; les croche-pieds de la cour de récréation, le chien méchant, l’amour et la crainte de sa mère.
Planent aussi la violence et la mort, signes de grandes souffrances qu’il devait endurer, tout en s’empressant de les camoufler sous un cynisme agressif.

Et à la fin, il faut tuer pour rester seul. Désespérément seul.

Un incroyable parcours

Mendésiste.
Militant pour l’indépendance de l’Algérie.
Antistalinien.
Militant UNEF, anticolonialiste.
Tiers-mondiste.
Maoïste.
Membre du Cercle léniniste marxiste.
Membre du Cercle léniniste marxiste de France.
Membre des Frères du monde.
Républicain laïque.
Membre du nouveau Parti Socialiste (Alain Savary).
Membre de la SFIO (flirte avec le MRP et la Social-démocratie scandinave) (a une aventure avec le FN).
Membre du PS.
Tendance Mitterrand.
Tendance Rocard.
Tendance Mitterrand (Ecologistes-Verts, une bouffée d’air frais).
Jospinien.
Anti-jospinien.
Soutien Ségolène Royal.
Anti-Aubry.
Anti-Hollande.
Soutien DSK.
Social-démocrate (le PC, c’est fini !).
Vive le social-libéralisme (les Verts, c’est fini !).

La vitesse et la virtuosité avec lesquelles il se livre à des transformations me fait penser à « Arturo Brachetti » considéré comme un des grands maîtres de la métamorphose. Capable de se livrer à des changements de costume à la vitesse de la lumière, il sait aussi donner vie à ses personnages. Acteur, metteur en scène, maître de la métamorphose, il pratique aussi les ombres chinoises.

Bienvenue au club

Georges Frêche qui s’était semble-t-il finalement converti au social-libéralisme, aurait mérité, avant son départ, une cérémonie. Avec quelques mots d’accueil du style : «  Nous sommes très heureux de constater que vous avez décidé de nous rejoindre en affirmant la justesse de nos idées. Pourquoi venez-vous si tard ? Ce n’est pas un reproche, mais un regret. Il est vrai que pour arriver jusqu’à nous, vous avez emprunté un chemin de terre, montant, sablonneux, malaisé, sinueux, tortueux… Bienvenue au club. ».

Pour ma part depuis que je suis « entré en politique », je n’ai porté qu’une seule casaque. Je suis resté fidèle à mes valeurs, tout au long de mon parcours. En 1975, j’ai participé à la création d’une université d’été à Montpellier, chargée de former de jeunes talents souhaitant servir en politique. Son sigle : G.S.L. (Génération Sociale-Libérale) et nous avons rajouté Européenne.

C’est sur ces valeurs que j’ai construit mes combats, mes idées et mes actes. Ce sont ces idées que j’ai toujours défendues à l’Assemblée nationale, au Conseil général, au Conseil municipal.

Des élites en admiration

Je comprends parfaitement l’admiration et l’affection que lui portent les membres de sa famille. Je comprends la fidélité de ses collaborateurs les plus proches et les plus anciens.

Mais la position des « élites » mérite interrogation. De multiples « élites » confites en admiration, révèrent Georges Frêche et brandissent ses éclats, sa vie, son œuvre, tel un passeport, bestseller pour le Montpellier d’aujourd’hui et le monde nouveau. Cet engouement en dit long sur l’épuisement intellectuel de ces élites. On ne pense plus, on vénère. Qu’on ne s’y méprenne pas, Georges Frêche n’est pas en cause, mais ce qu’on a fait de lui.

A travers ses propos, on consulte l’oracle et l’on transforme des truismes en sourates sacrées. Ce qui est affligeant et révélateur, c’est l’aveuglement avec lequel Georges Frêche est révéré sans être lu, discuté ou débattu.