Journal Officiel de la République française.
Assemblée nationale – Débats parlementaires Première session ordinaire de 1990-1991
112e séance Compte rendu intégral 1ère séance du mardi 18 décembre
P 7034
M. le président. La parole est à M. Willy Dimeglio.
M. Willy Dimeglio. Monsieur le Premier ministre. je vous ai écoute avec intérêt . Vous avez prononcé un discours technique: quatre grands principes, quatre dimensions, vingt-sept mesures. Ceux qui, ce soir, dans leurs banlieues, dans leurs quartiers, dans les zones périphériques, vont vous écouter seront déçus. Ils attendaient de vous un peu plus de chaleur, un peu plus de coeur, un peu plus de compréhension. Ce soir, c’est la désespérance qui va gagner un peu plus de terrain.
Vous avez parlé de 400 quartiers. C’est un peu court, car aujourd’hui, c’est la France entière qui est concernée par un traumatisme qui se traduit sur le terrain par une véritable sécession sociale. Devant cette désintégration de notre société, vous nous proposez quelques crédits, quelques fonctionnaires, quelques formules . Vous n’avez pas encore pris la véritable dimension de ce problème.
M. Alain Bonnet. Il faut être sérieux I
M. Willy Dimeglio. Je ne parle pas en théoricien, car j’ai eu le privilège de vivre dans ce que l’on appelle un grand ensemble.
Mme Maris-Noë11e Lienemann . I! n’y a pas que vous !
M. Willy Dimeglio. Je continue à m’intéresser, non pas à ce dossier, mais à des hommes et à des femmes qui se sentent assignés à résidence dans ces espaces, où le rêve n’est plus permis, où le rêve n’est plus possible.
Monsieur le Premier ministre, je voudrais vous faire part d’une expérience. Rapatrié d’Algérie en 1962 à Montpellier, j’ai dû, pendant de nombreux mois, vivre dans des conditions difficiles : il n’y avait pas de logements. Puis, en 1963, j’ai eu la chance de trouver un appartement dans un grand ensemble d’une zone périphérique. J’ai gardé de ce séjour des images de bonheur. Il y avait là une population heureuse de vivre, heureuse de travailler, qui n’était pas traumatisée par la délinquance. Il y régnait une convivialité, une animation spontanée qui en faisaient une cité heureuse. ll n’y avait pas de sous-préfet, pas de maisons de quartiers, ni de cafés de musique ! Chacun étai : habité par l’espoir de trouver un meilleur emploi ou de devenir propriétaire d’un pavillon, symbole de réussite sociale. Certains ont pu franchir ce cap, mais sont venus la crise économique, le chômage. le coût du crédit qui ont contraint les autres à renoncer à leur rêve . Certains ont perdu leur emploi. Certains ont connu la précarité. Certains propriétaires ont vu leur bien se dévaloriser à toute allure, ont loué à qui ils pouvaient, puis à qui le voulait bien.
Aujourd’hui, cette cité heureuse est devenue une cité sinistrée. Elle a été gagnée par la pauvreté de l ‘ intérieur, à laquelle est venue se joindre une pauvreté de l’extérieur par le canal de l’immigration . Je vous conseille, monsieur le Premier ministre, de lire la page spéciale qui a été consacrée aujourd’hui par le journal local, le Midi libre, à cette cité . Vous y trouverez plusieurs témoignages qui vous permettront de consolider votre dossier.
Quelle est aujourd’hui la réalité dans cette cite qui fut une cité heureuse Le nombre des bénéficiaires du revenu minimum d’insertion est de 40 p . 100 supérieur à celui des autres quartiers de la ville. L’échec scolaire atteint des sommets : de 30 à 60 p . 100, soit trente fois plus que dans d’autres quartiers de la ville. Vous constaterez que, dans certaines classes, il y a 85 p . 100 de « primo arrivants ». Vous y lirez des témoignages poignants, par exemple, celui de cet immigré qui refuse de mettre son fils à l’école du quartier pour ne pas qu’il soit touché par l’échec scolaire et qui l’a inscrit à l’autre bout de la ville, celui de ce chauffeur de bus, syndicaliste, qui préfère se saigner et mettre ses enfants dans une école confessionnelle.
Vous verrez que la délinquance y dépasse de 150 p . 100, monsieur le ministre de l’intérieur, la moyenne des autres quartiers de la ville, et que ceux sui sont victimes de cette violence sociale ce ne sont pas les riches, ce sont les pauvres.
(Applaudissements sur les bancs des groupes Union pour la démocratie française, de l’Union du centre et du Rassemblement pour la République .)
Mme Marie-France Stirbois . : très bien
M. Willy Dimeglio. S’il y a aujourd’hui une inégalité, c’est bien entre les riches et les pauvres pour l’accès à la police et à la justice. Enfin, ceux qui avaient acheté leur appartement en 1962 40 000 francs n’arrivent pas à le vendre aujourd’hui, monsieur le Premier ministre, 30 000 francs 1 Ils ont été, en quelque sorte, une deuxième fois spoliés.
Monsieur le Premier ministre, l’analyse est simple. La situation est fondée sur un quadruple échec. Echec économique, car les années 80 resteront celles de la nouvelle pauvreté. Echec du système scolaire : lorsque deux enfants sur trois en sont éjectés, comment voulez-vous atteindre le chiffre illusoire de 80 p . 100 d’une classe d’âge au baccalauréat 7 La vraie nécessité, c’est d’amener 90 p . 100 d’une génération au B.E.P. ou au C.A.P ., c’est-à-dire à des diplômes qui ont et donnent une légitimité sociale. Echec de la politique d’immigration : ces populations sur le terrain ont la conviction que vous vous drapez dans des formules qui laissent croire que finalement tout est bouclé et que désormais les frontières sont infranchissables . Tout cela leur donne un sentiment d’impuissance qui fait naître une exaspération entraînant le rejet de l’autre . Et ce ne sont pas les déclarations de M. Cheysson, qui vont améliorer la situation.
(Applaudissements sur les bancs des groupes de l’Union pour la démocratie française et du Rassemblement pour la République.)
Enfin, échec de votre idéologie : en 1977, vous êtes parti à l’assaut d’un certain nombre de villes, avec une bannière sur laquelle était marqué : « Changez la ville, changez la vie . » Certains vous ont cru. Imaginez aujourd’hui leur déception, quatorze ans après !
M. Gérard Longuet. Quatorze ans après !
M. Willy Dimeglio . En 1981, l e Président de la République avait dit à la jeunesse de ce quartier « Je créerai un million d’emplois nouveaux dans l’année qui vient » . Imaginez, monsieur le Premier ministre, le désarroi de ces jeunes aujourd’hui !
Mme Marie-Noëlle Lienemann . Ils font confiance au Premier ministre !
M. Willy Dimeglio . Vous avez cassé des rêves, des espérances Monsieur le Premier ministre, l’ordonnance est simple : faites confiance aux élus locaux, qui sont sur le terrain, qui connaissent le terrain . Toutes tendances politiques confondues, ils sont capables d’apprécier des situations. Donnez-leur des moyens, des pouvoirs, et vous, monsieur le Premier ministre, occupez-vous de l’Etat Faites en sorte que l’économie fonctionne, que la sécurité et la police fonctionnent au bénéfice de tous et non pas seulement, comme je l ‘ ai dit, au bénéfice des riches. Faites enfin que l’école soit source de progrès et non source d’exclusion. Faites en sorte que les populations puissent se mettre à rêver . Redonnez-leur, ce soir, un peu d’espérance.
(Applaudissements sur les bancs des groupes Union pour la démocratie française, du Rassemblement pour la République et de l’Union du centre.)