A 90 ans, le Parti communiste chinois tente toujours de séduire les jeunes élites

[Par Brice Pedroletti et Harold Thibault – Le Monde 5 juillet 2011]
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Que la vigueur de leur jeunesse brille avec éclat afin de rendre de grands services au Parti et au peuple !”  

La tournure ne fait pas très branché. Surtout lorsque les mots sont prononcés par le secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC), Hu Jintao, devant un parterre d’officiels plus très jeunes, au cours des célébrations des 90 ans du PCC. Mais l’idée est là : à son âge avancé, le Parti voudrait séduire la jeunesse.
Pour cet anniversaire, le 1er juillet, les drapeaux rouges et les slogans à la gloire du PCC avaient fleuri au coin des rues. Parcs, salles des fêtes et même, dans la ville de Chongqing, un stade de 100 000 personnes, ont accueilli des chorales de “chants rouges“. De génération en génération de dirigeants, le PCC a muté, incarnant plus aujourd’hui le succès économique triomphant et le nationalisme de grande puissance que l’orthodoxie marxiste. Pour ce qui est des affaires de la nation, il est le seul maître à bord.

Dans une Chine gagnée à la mondialisation, la “culture rouge” est devenue minoritaire, voire folklorique. Elle rassure les nostalgiques tandis que la parole libérée de l’Internet subvertit sans cesse la propagande. Pourtant, le PCC reste assez attrayant pour que des millions de membres le rejoignent chaque année. Ils sont jeunes, appartiennent souvent à l’élite, et assument…
Cui Yingfeng ne voit ainsi aucune contradiction à expliquer son engagement pour le Parti communiste à la terrasse d’un café Starbucks, juste en face d’un centre commercial clinquant. A deux pas de la maison qui accueillit le premier congrès du parti en 1921, à Shanghaï, ce jeune de 26 ans énumère les concepts théoriques qui justifient le monopole du pouvoir politique. Il lance tour à tour : “le Parti est grand“, “la Chine se réforme de l’intérieur“. L’absence d’élections s’explique, selon lui, par une “différence culturelle avec les pays occidentaux“, qui mettrait l’individualisme au second plan.
Peut-être l’appartenance au Parti l’a-t-elle aussi aidé à trouver un emploi dans le secteur public, convient le jeune homme originaire de la province du Hubei et qui travaille depuis peu pour le bureau shanghaïen d’une compagnie pétrolière étatique. Etre membre n’est pas pour autant un passe-droit, se défend-t-il.

Le processus d’adhésion est complexe. Les meilleurs étudiants sont “proposés“, d’autres postulent eux-mêmes. Une enquête est réalisée auprès de leurs amis et de leurs professeurs. Pendant un an, les candidats doivent rendre une dissertation mensuelle dans laquelle ils détaillent leurs accomplissements et leurs réflexions personnels. Ils sont placés sous la responsabilité de tuteurs. Puis vient la cérémonie : les jeunes membres, poing gauche tendu vers le drapeau à la faucille et au marteau, répètent le serment d’allégeance : “Prêt à tout sacrifier pour le parti et le peuple, ne jamais trahir le parti.”
Dans la promotion de Cui Yingfeng, près de 70 % des étudiants ont adhéré : selon lui, “plus le niveau est élevé, plus la classe compte de membres”. L’ambition, peut-être ? “Ces jeunes sont plus mûrs, ils ont davantage d’opinions politiques, et puis le Parti souhaite attirer des membres exceptionnels“, répond-il.

La machine veille aussi à coopter les jeunes élites pour s’assurer qu’elles n’aillent pas défendre leurs intérêts ailleurs. A l’image des entrepreneurs du privé, adoubés par le parti au temps du précédent président chinois, Jiang Zemin. Des 80 millions de membres que compte cette année le PCC, de loin la première organisation politique de la planète, 24,3 % seulement ont moins de 35 ans, selon le département de l’organisation du Comité central, le plus grand service de DRH du monde. Trois millions de membres ont rejoint ses rangs en 2010, dont 37,1 % ont un diplôme universitaire. Paysans et ouvriers y sont aussi largement représentés.

Le PCC s’efforce d’être à la page. Les écoles du parti, l’équivalent de l’ENA, font venir des conférenciers du monde entier. Les édiles locaux utilisent avec plus ou moins de bonheur les réseaux sociaux en ligne. Le film produit pour raconter la fondation du parti en 1921 tient de la superproduction, à laquelle ont participé toutes les plus grandes stars chinoises et hongkongaises du moment.
La jeunesse malgré tout se dérobe à l’emprise du PCC. Longtemps anesthésiées après l’écrasement du printemps de Tiananmen, les nouvelles générations sont bien plus critiques sur les limites du système chinois. Les côtés ringards du PCC n’échappent pas aux quolibets sur l’Internet.

Une partie de ceux qui adhèrent au parti disent vouloir changer les choses de l’intérieur. C’est le cas de Xiao Xu, qui préfère taire sa véritable identité. Il vient d’une famille modeste d’une petite ville de province. Recruté par le parti à l’université, il a rejoint comme fonctionnaire une administration chargée de la construction à Pékin. Une belle promotion. Mais il dit tout faire pour pratiquer la transparence dans son rôle de préposé aux relations publiques.
L’administration publique doit jouer “un rôle de service, expose-t-il. Il a étudié le journalisme, mais estime cette carrière bouchée, en raison de la censure. Quand on l’interroge sur les défis que pose le mécontentement social grandissant, il se réfugie vite dans des poncifs : “sans le parti, c’est le retour aux seigneurs de guerre“, dit-il, persuadé que la Chine ne peut pas “tenir” en une seule nation sans un parti unique.
Sa conscience critique s’arrête à ce qui est débattu en surface : il n’a jamais “sauté la grande muraille virtuelle“, c’est-à-dire accédé à des sites Internet interdits en Chine par exemple.

Wang Qiang (pseudonyme), qui a la trentaine et travaille dans un centre de recherche sur la politique économique dans le Guangdong, est moins naïf. Il est au courant des débats qui animent la dissidence. Difficile de nier qu’on trouve dans le parti un camp conservateur, et libéral. “On ne dit pas à quel camp on appartient. Mais on sait, selon la manière dont les gens se comportent“, note-t-il. Wen Jiabao est une figure libérale, mais il n’est pas considéré, selon lui dans le parti comme ayant de l’influence. “Les membres du parti regardent vers ceux qui ont le plus de pouvoir, et notamment de solides connexions avec l’armée“, admet-il, réaliste.

Ce sont les membres du parti qui choisissent, selon un processus loin d’être démocratique, la direction du parti et donc du pays, qui changera d’équipe l’an prochain. A 90 ans, le PCC, malgré toutes ses pirouettes idéologiques, n’en est pas encore à l’âge du questionnement. Mais on décèle des dissonances : dans le Guangdong justement, le quotidien local phare, Nanfang Dushi Bao, a titré en une sur les propos quelque peu décalés du premier secrétaire de la province, Wang Yang, la veille des célébrations : “Ne laissons pas les fleurs fraîches et les applaudissements noyer les opinions du peuple ; ne laissons pas les réussites statistiques déguiser les problèmes réels.”