[Par Willy Dimeglio – Conférence internationale d’Athènes 9 avril 1992]
Intervention du député Willy Diméglio représentant la France in : La Méditerranée, enjeu majeur du XXe siècle pp. 49-54
Monsieur le Président, Excellences, Mesdames, Messieurs les Ministres, Mesdames, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, Mon intervention se limitera à vous faire part de sept réflexions et à formuler autant de propositions.1ère réflexion : la Méditerranée est une – Les relations Europe-Méditerranée ne se ramènent pas à un dialogue Nord-Sud. – Car on n’est pas riverain de la Méditerranée comme on est riverain de l’Atlantique. – Car on n’appartient pas au Nord ou au Sud de la Méditerranée comme on appartient au Nord et au Sud de la planète. – Le dialogue Nord-Sud correspond quasi-essentiellement à des flux de rééchelonnement de dettes. – En Méditerranée, la proximité qui lie les riverains, rend non seulement possible les flux financiers, mais aussi et surtout la mobilité des populations, le partenariat économique et industriel, tout cela sur un fond de cultures partagées. – Enfin cette proximité nous lie directement quant à la préservation de notre environnement et au maintien de notre sécurité.2e réflexion : la Méditerranée est une, mais elle est divisible – La ligne de partage de la Méditerranée n’est pas tant orientée Nord-Sud, qu’Est-Ouest. – Il y a en fait deux bassins : l’un oriental, du Machrek aux Balkans, l’autre occidental le Maghreb et l’Europe latine. – Dans le bassin oriental, c’est dans l’héritage de huit siècles d’histoire que se posent au Sud comme au Nord des problèmes comparables quant au développement. Les niveaux de développement ne connaissent pas de trop forts déséquilibres, l’Etat joue traditionnellement un rôle essentiel. – Dans le bassin occidental au contraire, la question du développement trace une ligne de partage très nette entre la CEE au Nord et l’UMA au Sud. – Un projet Euro-Méditerranéen crédible et réaliste ne pourra se faire qu’en tenant compte de cette double personnalité. – La Méditerranée ne peut se satisfaire d’un prêt-à-porter pour son ensemble, elle a besoin d’un cousu main en deux pièces personnalisées.3e réflexion : L’Europe doit devenir bigame dans Sa clarté ! – Il est normal que l’Europe pense à son approfondissement et à son élargissement. Prolégomènes – Il est normal que l’Europe se donne une dimension alpine et Scandinave. – Il est normal que l’Europe regarde avec attendrissement vers l’Est. – Mais l’Europe ne peut se contenter de «quelques attentions chiffrées pour le Sud». – Il faut à l’Europe une politique méditerranéenne, volontaire, dynamique et il appartient en la matière, à la France, à l’Espagne, à l’Italie, au Portugal et à la Grèce de prendre des initiatives. – Et d’abord, il faut que l’Europe émette en direction de la Méditerranée, un signal clair, compréhensible pour tous. L’Europe veut-elle faire de la Méditerranée, une frontière ? Une simple zone périphérique ? Une zone de libre-échange ? Une zone avec un accord d’association ? – L’intensification des flux migratoires des rives du Sud, vers celles du Nord, comme les menaces de déstabilisation au Maghreb, nous commandent de faire de la Méditerranée une de nos priorités. Si nous ne faisons rien ou si nous le faisons mal, nous payerons tôt ou tard le coût du non développement. Le prix ne sera pas seulement différé, il sera aussi aggravé par la montée du désespoir et des extrémismes sur les deux rives.4e réflexion : une politique de co-développement et non plus d’assistance – L’avenir surtout en Méditerranée occidentale est au co-développement. Le co-développement diffère du développement unilatéral : des riches aux pauvres, qui existe au niveau mondial. – Le co-développement suppose des co-responsabilités. – Le problème n’est plus seulement de faire du commerce et des échanges, mais de participer au développement industriel et technologique dans le cadre d’un partenariat souhaité. – Nous devons non seulement favoriser les projets Nord-Sud mais également Sud-Nord et Sud-Sud.5e réflexion : il faut à Sa Méditerranée des institutions et des organismes spécifiques – Au-delà de la proposition de nos amis Espagnols et Italiens sur la mise en place du CSCM (Conseil de Sécurité et de Coopération en Méditerranée), il faut rapidement mettre en place des institutions et organismes spécifiques. – Pour la Méditerranée occidentale, nous préconisons : – un Conseil de la Méditerranée Occidentale (COMO) réunissant des élus du Maghreb et de l’Europe latine, – Un Conseil Economique et Social, – Une institution financière capable de recueillir de l’épargne sur le plan international et de la redistribuer dans la région. – Une institution monétaire, – Des organismes communs touchant aux secteurs universitaires, des télécommunications, de l’environnement, de la recherche…6e réflexion : il faut régler le problème des dépendances et des tensions alimentaires – La semoule est un facteur essentiel de l’équilibre méditerranéen, nous devons nous interroger. La CEE, le plus gros producteur, subventionne les exportations de blé vers le Maghreb. Celui-ci a abandonné la céréaliculture et s’est reconverti dans les agrumes, ce qui en 1996 avec l’entrée définitive de l’Espagne et du Portugal dans la CEE posera de grandes difficultés. Au moment où l’Europe réduit ses productions, certains riverains importent du blé d’autres parties du monde. En définitive, il nous coûte d’exporter des céréales et il nous coûte d’importer des agrumes. Il faut avoir le courage d’aborder ces problèmes de front. Mettons-nous autour d’une table, parlons-en.7e réflexion : «la nouvelle donne mondiale : une chance pour la Méditerranée» A un moment où le monde subit une accélération et une transformation de l’économique, du politique et du social, la Méditerranée peut retrouver une chance dans cette nouvelle donne. Au-delà des facteurs conventionnels de production, terres, matières premières, travail physique, capital, les nouveaux facteurs de richesse s’appellent savoir, information, champs de données, organisation. La division technique du travail est de plus en plus supplantée par des formes d’organisations plus souples éclatant les hiérarchies et nécessitant les systèmes de communications évolués entre équipes de travail plus autonomes. Cette évolution déjà en cours dans les grandes organisations mondiales va se généraliser et paraît plus compatible avec la culture méditerranéenne, dans la mesure où elle réhabilite le symbolique, la créativité individuelle et la communication. Pour pouvoir bénéficier de cette autonomie, l’homme méditerranéen et son entreprise devront maîtriser le savoir de base et le savoir technique. Il existe cependant un risque que des tendances à la fermeture, justifiées précisément par un désir d’indépendance et d’autonomie mal comprises, retardent cette évolution. La solution réside dans une nécessaire ouverture pour mieux interpréter les nouvelles dynamiques économiques. Elle réside aussi dans des transferts judicieux des ressources intellectuelles et matérielles de l’Europe. Il existe donc bien autour de la Méditerranée des complémentarités de ressources et d’aptitudes qui augurent d’échanges profitables pour l’ensemble. Ce sont donc les marchands qui aujourd’hui, comme hier, feront la Méditerranée. Si ces marchands contribuent à échanger les matières premières, les produits agricoles et industriels, les services entre pays méditerranéens, ils consolident la cohérence de cette zone. Ces échanges spécialiseront les régions et pays sur la base d’une logique méditerranéenne. De cette interdépendance économique pourra naître une solidarité plus large. – Par contre le processus d’éclatement du monde méditerranéen sera achevé, si l’espace de référence des activités marchandes devient pour l’essentiel extérieur à cette zone géographique. Alors chaque région ou pays assumera des fonctions économiques dont la cohérence d’ensemble sera à rechercher à l’extérieur du bassin. – En termes économiques, le dommage ne sera sans doute pas considérable car cela prouvera simplement que les lois du marché mondial ont conduit les régions et les pays méditerranéens à des spécialisations qui prennent leur sens dans l’ensemble du système international. Sur le plan humain, par contre, les conséquences seront plus dommageables. – Ce serait alors la fin d’une histoire, d’une culture, d’un patrimoine ; notre souhait le plus cher, c’est que ce berceau de la civilisation qu’est la Méditerranée, puisse vivre une nouvelle renaissance harmonieuse et heureuse. |